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La buse et le mulot

Publié le 29 novembre 2014 par Rolandbosquet

buses

      Nous sommes en fin d’après-midi. Mon chat César vient de rentrer d’une courte promenade au jardin et s’est de nouveau installé sur sa chaise devant la cheminée pour reprendre une sieste trop longtemps interrompue. D’un rapide coup de tisonnier, j’ai ravivé les braises alanguies sous leurs cendres et ajouté une petite bûche de châtaignier. Enfoui dans mon fauteuil préféré, j’attends en somnolant à demi de regarder sur la chaîne du savoir et de la connaissance du Service Public l’émission qui prend de la hauteur selon son sponsor officiel. Des images de paysages champêtres défilent à l’écran tandis que le ronron de la voix du commentateur incite plus à la léthargie qu’à l’éveil culturel. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il s’agit de la vie trépidante d’une buse partie à la chasse pour nourrir ses trois poussins affamés qui l’attendent dans leur nid perché au sommet d’un chêne plus que centenaire. La tension est extrême. Les petits s’agitent de plus en plus au risque de tomber sur le sol et de s’y fracasser les os. Leur mère tourne lentement au-dessus des champs et des bosquets, scrutant le sol avec obstination dans l’espoir d’y détecter le plus infime mouvement. À force de se débattre et d’appeler, l’un des petits à failli passer par-dessus bord. Sa mère semble à présent presque immobile, comme si elle se laissait dériver paresseusement à la faveur d’un courant d’air chaud. Comme si elle était devenue indifférente au sort de sa progéniture. Mais non, elle plonge soudain et atterrit au pied d’un buisson de noisetiers où l’herbe a laissé place à la terre battue. Une souris, affolée, se débat entre ses griffes acérées. D’un coup d’aile, la buse reprend son vol et se dirige sans attendre vers les bois. Les petits ne mourront pas de faim. La nature pourvoit toujours aux besoins de ses hôtes. Pourtant, une pauvre souris qui ne demandait rien à personne en sera la victime mais la voix n’exprime à son égard aucune compassion. Pour cela, il aurait fallu que la caméra suive la vie paisible de cette modeste souris des champs qui, le soir venu, s’enhardit avec la plus extrême prudence hors de son terrier natal pour tenter d’attraper un vers de terre, quelques insectes étourdis ou simplement des baies tombées des arbousiers ou des sureaux. Il lui faut en effet absolument prendre des forces pour pouvoir allaiter ses petits. La tension est à son comble à la vue du danger qui la menace depuis le ciel. Elle court dans l’espoir de se réfugier entre les racines d’un bouquet de noisetiers. Mais la fatigue et la faim ralentissent sa fuite. L’ombre de l’oiseau se rapproche. Haletante, le petit rongeur parvient enfin à se glisser sous des feuilles mortes. Dépitée, la buse repart d’un coup d’aile. Un vermisseau égaré vient à passer là par hasard. Notre amie l’agrippe entre ses dents pointues et l’ingurgite avant de repartir pour son repaire. Elle pourra donner à boire à ses souriceaux. La nature pourvoit toujours aux besoins de ses hôtes. Et la voix n’aura aucune compassion ni pour la buse et ses petits affamés ni pour l’infortuné vermisseau. À moins que la caméra… Et le monde, indifférent, poursuit sa course joyeuse vers son avenir radieux.

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