Ce 17 juillet de l’an de grâce 1054, les lieutenants de Guillaume le Conquérant viennent d’anéantir l’armée du roi de France à Mortemer en Normandie et à Aix la Chapelle, le roi Henri, troisième du nom, ceint le front de son fils Henri de trois ans et demi de la couronne de roi de Germanie. De l’autre côté du globe, un astronome chinois dont le nom s’est perdu dans les oubliettes de l’Histoire vient de consacrer sa nuit à observer le ciel. Au petit matin, alors qu’il jette un dernier regard vers l’horizon, il distingue soudain une étoile à la luminosité proche de celle de Vénus qui semble s’être invitée de son propre chef au milieu de son terrain d’observation. Comment ai-je pu ne l’avoir encore jamais aperçue ? s’interroge-t-il. Il fait réveiller ses compères qui accourent toutes courbatures oubliées. Nous ne l’avions encore jamais vue, nous non plus, affirment-ils. Ils ont raison. La lueur qui les intrigue tant annonce en effet le décès d’une étoile supergéante rouge. Ayant épuisé sa réserve d’hydrogène, celle-ci s’était lentement effondrée sur elle-même et dégageait ainsi une énorme quantité d’énergie. Comme si, dans un dernier souffle, elle voulait envoyer à l’univers entier un ultime adieu. Les faits se sont déroulés 6200 ans plus tôt mais même à la vitesse de la lumière, il aura fallu tout ce temps au courrier pour parvenir jusqu’à nos braves astrologues dans la banlieue de Kaifeng, la capitale de l’empereur chinois Zhao Zhen. Ces derniers ne comprennent pas alors le sens de ce qu’ils découvrent mais ils le consignent cependant scrupuleusement dans leurs annales et l’oublient. Jusqu’à ce qu’en 1731, l’astronome John Bevis observe à son tour le phénomène qui lui apparaît sous la forme d’une nébuleuse et que, quelques années plus tard, l’astronome Charles Messier l’inscrive dans son catalogue. Sir William Parsons devait presqu’un siècle plus tard la dessiner sous l’apparence d’un crabe lui donnant ainsi le nom sous lequel elle nous est aujourd’hui connue. Si bien connue d’ailleurs que les astronomes modernes, ayant détecté ses vestiges dans la constellation du Taureau, ont pu reconstituer toute sa triste histoire. Et comme elle est relativement peu éloignée de nous puisqu’elle évolue dans notre propre galaxie, un béotien comme le vieux bougon pourrait parfaitement d’ores et déjà, si le ciel était dégagé, l’y admirer entre 23h et 2h du matin avant de fêter dignement les Saints Innocents. Quant à celles et ceux qui ne disposeraient pas d’une lunette d’au moins 100mm de diamètre et du balcon adéquat, ils pourraient sans dommage regarder la nébuleuse du crabe à la télévision. Les chaînes d’information continue ne manquent jamais une occasion de nous informer sur les péripéties qui agitent, là-haut, le panier qui nous dirige ou qui y aspire. Certains commentateurs pourraient même interpréter cette actualité comme un signe du ciel en faveur de leur poulain. Quoi qu’il en soit, le monde avance sans s’en soucier dans sa marche joyeuse vers son avenir futur.
(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)