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Les fausses conneries du Chat

Publié le 21 décembre 2014 par Legraoully @LeGraoullyOff

Le Chat

Voilà plus de trente ans que Philippe Geluck nous régale avec les bons mots de sa créature hybride mi-homme mi-chat ; il nous a même gâtés dernièrement avec la sortie d’un double album où il assume définitivement sa facette subversive en faisant reconnaître au Chat « je l’avoue, je ne respecte rien » ; de fait, il n’a jamais rien respecté, et surtout pas les idées reçues qu’il s’emploie à détraquer, alternant littéralement entre sursauts de bon sens et conneries monumentales. Mais comme il le dit lui-même « un type qui se trompe en disant quelque chose de faux dit peut-être quelque chose de vrai » et, de fait, certaines de ses phrases ne sont absurdes que de prime abord ; pour qui sait lire entre les lignes, beaucoup de ces conneries ont en fait le mérite de mettre le doigt sur une vérité que les habitudes douillettes d’une pensée pantouflarde ont tendance à occulter. La preuve par l’exemple…

« Je me demande parfois si c’est mon miroir ou moi qui a l’air bête. » Il a tout à fait raison de se poser la question car l’image du miroir ne peut jamais être totalement conforme à celle que nous renvoyons en société pour la bonne raison qu’elle est inversée : c’est ce qui explique qu’on ne se reconnaisse pas toujours, voire même rarement, sur les photos, et il suffit que notre visage soit légèrement dissymétrique pour que le miroir ne soit en aucun cas un indicateur parfaitement fiable de notre apparence ! Maintenant, le fait que son miroir ait l’air bête n’exclut pas qu’il l’ait lui aussi…

« Il paraît que notre cerveau ne fonctionne qu’à 50% de ses capacités. Je ne le crois qu’à moitié. » Un scepticisme légitime puisque cette légende urbaine est totalement fausse : il est exact qu’on n’emploie jamais au même moment toutes les capacités de notre cerveau, ce qui ne signifie pas qu’il y aurait toute une zone de notre cerveau qui serait constamment inoccupée mais tout simplement que certaines parties sont mises en sommeil quand elles ne sont pas utilisées et que ce n’est pour mieux se réveiller tout de suite après. C’est à ce prix que notre cerveau est efficace : il emploie bel et bien toutes ses capacités, mais pas toutes au moment ; si tel n’était pas le cas, ce serait ingérable !

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« En lisant le journal, les gens croient apprendre ce qui se passe dans le monde. En réalité, ils n’apprennent que ce qui se passe dans le journal. » Même sans envisager ce point de vue comme une critique (au demeurant pertinente) des médias, il reste qu’il est vrai que la lecture d’un journal ne nous livre pas clés en main l’événementiel brut mais le traitement qui en a été fait par d’autres personnes, avec tout ce que cela comporte en matière de parti pris, de choix des informations, etc. La citation du Chat est comme un contrepoison au mythe de l’objectivité journalistique.

Cliquez pour agrandir.
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« Quand je pense que si Dieu n’avait pas créé le monde, que si Attila ne l’avait pas mis à feu et à sang, que si César n’avait pas conquis la Gaule et Charlemagne unifié l’Empire, si Napoléon n’avait pas perdu Waterloo (en 1815) et Hitler pris le pouvoir, peut-être je n’aurais pas existé. » De fait, si l’un ou l’autre des événements historique qu’énumère le Chat ne s’était pas produit, le monde dans lequel nous vivons ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, celui dans lequel nous sommes nés et qui est donc notre condition de possibilité. L’existence d’un individu est absolument contingente, rien n’a jamais présupposé qu’elle serait effective un jour, chacun de nous aurait pu ne pas exister si les conditions qui ont concouru à notre existence n’avaient pas été réunies, et pour déterminer quelles étaient ces conditions, rien ne nous interdit de remonter la chaîne des causes et des effets à l’infini, y compris jusqu’à la naissance du monde elle-même !

« Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. C’est mon avis et je ne vois pas pourquoi j’en changerais. » Le Chat fait mieux que sous-entendre qu’il serait lui-même un imbécile : il démontre que cette maxime est une phrase de scélérat. À la mauvaise excuse que se donnent les Éric Besson de tous les pays, le Chat oppose la fidélité à ses convictions en lui redonnant son statut de valeur morale essentielle.

« Je ne suis pas joueur, je ne suis pas non plus végétarien, je ne suis pas vraiment beau, je ne suis pas grand, je ne crois pas être violent, je ne suis ni rapide ni lent, je ne suis certes pas péruvien, je ne suis pas un chien, à tel point que je me demande si on n’est pas davantage ce qu’on est pas que ce qu’on est. » En effet, il existe une multitude de caractéristiques pouvant être reconnues à un être singulier, mais seule une infime partie d’entre elles lui sont effectivement reconnues : si tel n’était pas le cas, on pourrait être à la fois une chose et son contraire, ce qui ruinerait le principe même d’identité qui rend une définition possible. Définir quelqu’un ou quelque chose revient à éliminer une foule de caractéristiques qui ne peuvent être raisonnablement reconnues à ce que l’on définit.

« En jouant avec une pomme de terre et en tapant très, très, très, très, très, très, très, très fort, on devrait pouvoir faire des frites. » Parfaitement exact : l’expérience fut tentée avec succès par le professeur Choron.

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« S’il est bien exact que le premier homme est apparu il y a 3.000.000 d’années, la mère du premier homme s’est fait mettre en cloque il y a 3.000.000 d’années et 9 mois. » Absurde ? Pas du tout : le premier homme n’a pas pu apparaître ex nihilo, il devait constituer le fruit d’une longue évolution ; il avait forcément une mère, même si celle-ci n’avait pas encore les caractéristiques selon lesquelles on identifie un animal comme appartenant à l’espèce humaine. Seule la datation que propose le Chat est quelque peu fantaisiste, mais elle ne l’est guère plus, en dernière analyse, que celle que l’on admet communément pour dater l’évolution des espèces et qui ne doit pas être prise au pied de la lettre.

Yves Coppens vu par votre serviteur.
Yves Coppens vu par votre serviteur.

« Je me sens seul, surtout quand je ne le suis pas… » Le Chat dit ça au milieu d’une foule anonyme composée d’individus qui ne lui prêtent pas le moindre regard : tel est bel et bien le sentiment d’abandon dépeint par Alain Souchon dans sa chanson « Ultra moderne solitude ». Quand on est vraiment seul, c’est-à-dire dans un espace exempt de présence humaine autre que la nôtre, on peut au moins se retrouver en tête-à-tête avec sa conscience et l’espoir de rencontrer quelqu’un n’est pas perdu ; mais dans la vie moderne, il est monnaie courante que l’on soit seul sans l’être vraiment, ce qui est sans doute encore pire : « l’autre » est là, il ne nous laisse donc pas le loisir de dialoguer avec notre conscience, mais comme il ne nous prête aucune attention, il ne nous laisse même pas envisager la possibilité de communiquer avec lui. C’est le grand paradoxe de la vie moderne : nous n’avons jamais eu autant d’outils pour communiquer mais nous n’avons jamais été aussi isolés les uns des autres…

Voulzy et Souchon vus par votre serviteur.
Voulzy et Souchon vus par votre serviteur.

« L’année de naissance de Rembrandt moins l’année de naissance de Rubens moins l’âge de Picasso en 1903 égal la ville natale de Paul Valéry. Crevant, non ? » Rembrandt est né en 1606, Rubens en 1577 et Picasso avait 22 ans en 1903. 1606 – 1577 – 22 = 7 et Paul Valéry est bel et bien né à Sète. C.Q.F.D.

« Il doit y avoir trop d’aimants sur le frigo, les épinards se retrouvent collés sur l’intérieur de la porte. » On serait tenté de répondre au Chat qu’il n’y a pas de fer dans les épinards : seulement, pour le coup, c’est nous qui passerions pour des idiots car, si, il y a bien du fer dans les épinards ! Il y en a très peu, certes, mais il y en a. D’ailleurs, la quantité de fer y est si faible que oui, pour le coup, il y a sûrement beaucoup trop d’aimants sur le frigo.

« Les États-Unis sont les plus gros pollueurs du monde ; n’empêche que leurs exécutions capitales, ils les font à l’électricité, une énergie propre. » Ce n’est pas parce qu’un appareil n’émet pas de fumée qu’il n’est pas polluant : les chaises électriques sont alimentées par des centrales nucléaires et si l’on tient compte du fait qu’une centrale laissera derrière elle des déchets et toute une zone irradiée, le tout restant dangereux pendant des millions d’années après n’avoir fourni de l’énergie que pendant une cinquantaine d’année, alors les exécutions capitales sont faites avec l’énergie la plus polluante, la plus coûteuse et la plus conne jamais inventée.

'Fichus, soleillados, robes de chez Lacroix / Les pétasses au soleil des longs étés framboises / Posent leur cul bronzé qu’un con honorera / Sur la pierre fatiguée des arènes Nimoises / Et puis pour une fiotte, en balerines noires / Qui arrose bientôt le sable d’un sang bovin / Elles se pâment sur l’épaule de leur maque d’un soir / Et mouillent la soie fine de leur dessous coquins.

« En général, ceux qui attrapent la maladie d’Alzheimer vivent vieux ; sans doute parce qu’ils oublient de mourir. » Ce n’est pas idiot du tout : la mort n’est pas purement somatique, le psychisme joue aussi énormément ; la mort est probablement plus proche pour le vieillard qui sent qu’il a fait son temps et n’a plus rien à espérer de la vie que pour l’homme âgé qui a gardé son appétit de vivre. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, il n’est pas incongru que la dégénérescence soit telle que la personne qui en est atteinte n’ait même plus la perception nette de son état de santé et de son espérance de vie, retardant du même coup l’heure de la mort… Et oui, quand on analyse une blague, elle est tout de suite moins drôle !

10-26-Cyril Massarotto

« Si on met un peu d’ordre dans un ordre parfait, c’est tout de suite le bordel. Par contre, si on met un peu d’ordre au milieu du bordel, c’est toujours le bordel. Ça veut dire que le bordel est le plus fort. » C’est malheureusement vrai : le désordre, le chaos, est une vérité autrement plus constitutive du monde que l’ordre. Nous avons beau jeu de parler de « l’ordre » naturel, il est plus que probable que la nature n’obéit à aucune organisation précise si ce n’est celle que nous imaginons, par habitude de tout penser conformément à une certaine organisation. La nature est ce qu’elle est, se passe fort bien de toute justification par le biais d’un ordre qui le transcenderait, et le semblant d’ordre que nous pouvons instaurer dans les sociétés humaines est impuissant à contrebalancer le chaos de la nature.

« Le premier homme qui a marché sur la Lune, tout le monde se souvient de son nom, mais le premier homme qui a marché sur la Terre, plus personne ne sait qui c’est. Et pourtant, c’était autrement précurseur, excusez-moi ! » Plus personne ne sait qui c’est pour la bonne raison qu’il a accompli son exploit durant les temps « préhistoriques », c’est-à-dire antérieurs à toute écriture, et que donc personne n’aurait pu écrire son nom et, ainsi, en perpétuer le souvenir. Il n’empêche que son geste était bel et bien précurseur au sens où son exemple a été suivi presque immédiatement par tous ses congénères, tandis que peu de gens peuvent suivre l’exemple de Neil Armstrong, même 45 ans après…

« La mort est une chose qui ne nous concerne pas tant qu’on est en vie et qui ne nous concernera plus quand on sera mort. » Bravo, élève Geluck, vous venez de condenser en une seule phrase le contenu exact du propos d’Épicure dans la fameuse lettre à Ménécée : c’est exactement ce que dit le philosophe grec pour justifier qu’il ne faut pas avoir peur de la mort qui, en dernière analyse, n’est rien pour nous ; très longtemps après, Jankélévitch en rajoutera en disant que la seule chose qu’on puisse légitimement redouter, c’est l’agonie, l’instant « pré-mortel » qui n’est pas encore la mort elle-même et qui n’est jamais qu’un mauvais moment à passer…

Un autre disciple d'Epicure : Lucrèce.
Un autre disciple d’Epicure : Lucrèce.

Conclusion : La méfiance affichée de Geluck envers les fausses évidences a le mérite de donner lieu à des débuts de réflexions affranchies des réflexes de pensée acquis par l’éducation et la vie sociale ; sans être un grand philosophe, il introduit dans la pensée un courant d’air frais qui la revitalise et peut donc donner à chacun l’occasion de repenser ses habitudes : même la recherche scientifique peut en tirer un bénéfice non négligeable, ce qui n’est pas la moindre des mérites du génie de ce belge qui fait rire la France entière…

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