Tout ébaudis encore de s’être croisés si nombreux dans la rue pour exprimer leur émotion, nombre de citoyens ont repris le travail avec belle chaleur au cœur mais avec aussi méchante écharde accrochée en coin d’ombre. Que signifie ce mélange de peur et de compassion qui les a réunis ainsi en communion si lourde et si intense ? On croit toujours que demain ne sera pas comme hier, que les lendemains seront obligatoirement différents sinon meilleurs. Mais le seront-ils ? Outre les experts en tout, et il y aurait beaucoup à dire à leur sujet, on a vu défiler dans les journaux et les télévisions les bonnes âmes de la bienpensance. Beaucoup se sont étonnées que des médias étrangers n’aient pas voulu afficher les Unes de Charlie-Hebdo. Beaucoup se sont indignées de ce que des jeunes dans les écoles, collèges et lycées les réprouvent ouvertement, disant haut ce que leurs adultes prisonniers des circonstances hésitaient à énoncer. La liberté n’est pourtant pas divisible. Libres sont les uns de lancer comme des coups de poing des caricatures qui se veulent émancipatrices et ils doivent le demeurer. Libres sont également, musulmans comme chrétiens, ceux qui s’en estiment blessés dans leur foi et les condamnent. Libres également sont les rédactions incriminées de ne pas les exposer par crainte ou non d’offenser leurs publics. Les uns et les autres n’en cautionnent pas pour autant la barbarie des auteurs des attentats ! Chacun sait que la liberté s’arrête précisément à la porte de la violence, et la loi est là pour en fixer les conditions. Elle ne peut par contre, pour subsister, que se nourrir de tolérance. La part de chacun envers l’autre est à cet égard sans limites. Tant pour ceux qui sont persuadés d’avoir la raison avec eux que pour ceux qui portent et vivent d’autres croyances. Si ces malentendus persistent, et les parties semblent hélas encore bien éloignées, le risque est grand de voir de nouvelles explosions traverser la société. Bien sûr qu’il faudra lutter avec audace et détermination pour les désamorcer et les neutraliser. Bien sûr qu’il faudra sans doute, et dans le respect toujours des garanties républicaines, renforcer les contrôles et les interventions. Mais il faudra aussi et surtout se parler encore et encore avec respect et considération dans le champ commun avancé par la démocratie. Quant aux boutes-feu de tous bords, il faudra les débusquer et les empêcher de nuire. Et éliminer les foudres de guerre partout dans le monde où ils sèment la terreur et la mort. Et là, comme disait mon père,: « Il y a encore de la tâche ! »
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