De nouvelles régions aux couleurs du passé

      Je garde un souvenir ému de l’école communale et de l’instituteur, monsieur Maurey, qui parvint à force d’obstination et de quelques coups de règle à m’apprendre à lire, à écrire et à compter. J’avais en effet une nette tendance à rêver à tout autre chose. Or l’important selon lui ne résidait pas tant dans les nuages que sur les murs de la classe. S’y étalaient de grandes cartes illustrant, entre autres sujets, la France et ses vastes possessions d’Outre-Mer qui devaient bientôt disparaître, les grands fleuves avec leur source, leur embouchure et leurs affluents les plus importants qui coulent toujours et parfois même débordent et les départements métropolitains avec leurs préfectures et sous-préfectures. J’ai l’impression de revivre ces moments lointains à la vue des cartes bariolées des nouvelles régions que les médias nous ont exposés et exposeront encore à l’envi. Certes les toutes nouvelles "capitales" ne nous sont pas encore connues et il faudra sans doute patienter jusqu’à la fin des hostilités, soit un demi-siècle au moins, pour afficher définitivement leur nom au-dessous du plus gros point rouge. Les commentateurs n’en concluent pas moins leurs explications par une invitation à admirer cette nouvelle modernité résolument contemporaine. Comme s’il s’agissait d’œuvres de Maurizio Cattelan ou de Jeff Koons. En réalité, j’ai surtout l’impression de relire la répartition des territoires de l’ancienne Gaule gallo-romaine revisitée par les Francs. Retournons au temps du roi Dagobert 1^er, celui de la fameuse culotte à l’envers. Le vice-royaume de Toulouse où règne son frère aîné, Caribert côtoie la Septimanie qui sera si chère à Georges Frêche. Les Vascons, nostalgiques de la grande Gascogne, ont tout de même conservé Bordeaux. Repoussés par les Angles et les Saxons, les Celtes de Cornouailles et du Pays de Galles ont traversé la mer et colonisé notre actuelle Bretagne. Göngu-Hrólfret ses Vikings n’ont pas encore acheté la future Normandie au roi de France Charles III dit le Simple. Les Burgondofarons ne rêvent que de conquêtes et étendent leur influence bien au-delà des limites de l’actuelle Bourgogne. Les terres du nord et de l’est sont englobées dans une immense Austrasie se déployant jusqu’au Rhin et dont Metz est la capitale. Et au centre de ce maelström, la Neustrie s’étend largement autour de Bourges, fief en titre du roi de Paris qui préfère d’ailleurs vivre à Clichy au milieu de ses vastes forêts giboyeuses. Quant aux Lémovices, qui se sentent tantôt le cœur toulousain et tantôt le cœur bordelais, leur territoire essentiellement recouvert d’ormes, de chênes et de fayards est bien trop pauvre pour être convoité par qui que ce soit. Rien n’a donc changé depuis ou si peu. On a construit des autoroutes et des TGV pour que les vassaux de province puissent "monter" faire prompte allégeance à la Capitale. À moins que ce ne soit pour mieux les surveiller tant ils sont enclins à regimber sous le joug de l’impôt. À la suite de Charlemagne puis de Jules Ferry on a créé une Éducation Nationale pour tous et l’ENA pour quelques particuliers. Et on a supprimé le Service Militaire Obligatoire qui faisait alors se rencontrer dans les rues de la soif les jeunes conscrits venus de partout. Si donc l’avenir réside dans ce passé, ce n’est pas demain que notre monde hexagonal atteindra son futur.

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