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Alan Beffroi #7

Publié le 27 janvier 2015 par Yannbourven
Alan Beffroi #7    Me coltiner cette fille ? Pourquoi pas, elle est plutôt mignonne, mais elle parle trop, je suis sûr qu’elle est riche, ça se voit à l’ovale de son beau visage lisse de Rosbif, et à ses longs cheveux blonds, aux fringues qu’elle porte, à ses bagues aussi, je la baiserais bien, encore, mais le temps de retourner à l’appart, de la faire boire un peu, de nous affairer, de me rhabiller, sûr que j’arriverais en retard au taf ! J’espère qu’elle n’est pas tombée amoureuse de moi, manquerait plus que ça, de toutes les façons ça ne fonctionne jamais quand je sors avec une bourge, ça foire à chaque fois, c’est pas les mêmes visions, on voit pas la vie de la même manière, c’est vrai quoi, un fils d’ouvrier avec une fille de bourge c’est perdu d’avance, à un moment donné la fille en demande plus, soirées, dîners, voyages, bijoux, différent train de vie, c’est en elle, il lui en faut plus, et toi tu ne peux plus suivre, jamais, bref, comme ça je veux bien qu’elle m’accompagne, mais j’espère qu’elle n’est pas tombée amoureuse de moi, manquerait vraiment plus que ça ! Et puis j’ai pas vraiment barbé ses textes, je m’en suis juste inspiré, les rêves de ces hommes ne lui appartiennent pas, faut pas exagérer, je ne suis pas un plagiaire, je suis un véritable artiste et c’est tout ! Et j’en suis sûr !     Alan Beffroi marche beaucoup trop vite, Erin lui demande de ralentir un peu, t’es lourd vraiment, stop, slowly please, elle s’arrête devant le Moulin Rouge, j’adore ce truc, amazing, c’est Paris ! c’est si beau ! quelle ville ! quelle classe ! regarde avec moi ! je la aime ! my god ! quel bonheur ! Ils repartent mais Erin ne peut pas vraiment le suivre, il se faufile trop rapidement entre les gens ahuris qui prennent des photos, qui s’embrassent, qui s’engueulent, ou qui fument en restant statiques, il évite soudainement trois cyclistes, l’un d’eux glisse sur un kebab éclaté et se rétame, Erin l’aide à se relever, Erin est coincée, doit attendre au feu piéton, c’est le défilé des taxis, deux hommes assis à la terrasse d’un rade-karaoké l’interpellent, t’es charmante madame, tu bois un verre avec nous ? Non j’ai pas le temps, Erin repart, furieuse, les deux mecs s’énervent, viens nous sucer dans les chiottes ! Elle traverse une rue, une voiture klaxonne, le gérant d’un sex-shop veut lui refourguer un énorme gode noir qu’il brandit en riant, elle déguerpit, appelle Alan, t’es où t’es où, elle ne l’aperçoit plus, elle a les larmes aux yeux, vexée, satanée shit, asshole, plus loin Alan Beffroi ralentit sa marche, il se retourne, et l’attend…     Qu’est-ce tu fous ? Je vais être en retard !     Pauvre connard, tu l’as fait exprès.     Alan a bien songé à la perdre dans la petite foule de touristes stagnant en bas de la Butte Montmartre, ou l’abandonner au beau milieu d’un rayon du marché Saint-Pierre parmi les étoffes rêches et colorées, mais il s’est rétracté, se sentant certainement redevable, l’histoire des phrases volées, je dis pas que je suis coupable, mais bon… elle est plutôt sympathique cette idiote. Ils reprennent la route, et devant les vitrines des magasins Tati Alan tente soudainement d’embrasser Erin, qui réagit plutôt mal en lui balançant une énorme gifle, Alan Beffroi s’énerve, t’es conne ou quoi, Erin tourne les talons.     Mais reviens ! J’ai une dette envers toi, tu te souviens, princesse !     Alors je viens, mais tu ne me regardes plus, tu ne parles plus, tu shut your face ! Compris ?     Plus tard, sur le pont enjambant les voies ferrées porteuses des trains Eurostar filant en direction de Londres, ils aperçoivent sur le trottoir de gauche un petit garçon recroquevillé qui semble dormir dans l’indifférence générale, ils s’approchent lentement, petit ? Tu vas bien ? Il respire, c’est bon signe… Alan le secoue un peu, debout petit, l’enfant ne se réveille pas, Erin décide de le prendre dans ses bras, elle l’emmène dans le square Léon, dans le quartier de la Goutte d’Or, l’allonge sur un banc, et tous les deux regardent l’enfant qui dort en s’agitant : on dirait qu’il rêve. Erin se penche : j’entends quelque chose. Elle sort un carnet de son sac et note ce que l’enfant marmonne :     Maman capitule coffre en saccage monde de jour et ralentir maman crie en fausses couches monde de jour et ralentir s’amène l’Homme Penché le retrouver et le tuer il faut tous les tuer les Ombres perverses sont de retour regardez-les tout autour regardez elles flottent maman ? elles flottent et nous griffent et nos peaux transparentes se déchirent les Ombres perverses crient regardez elles nous réveillent. Alan aimerait retenir ces paroles, mais le flow est trop rapide : les Ombres perverses crient elles flottent maman ? Monde de jour et ralentir le retrouver et le tuer regardez-les elles me prennent alignent les faits les songes sont au-dessous impatients avides d’infini ils décolleront partiront au loin par-delà les barres d’immeubles et les océans des prières adressées à maman des larmes de sang dans des calices maman crie en fausses couches les Ombres perverses sont de retour…      Au bout d’une bonne demi-heure Percy cesse de parler, Erin est abasourdie, Alan ne sait pas comment réagir.     On le garde avec nous, Alan.     Je ne sais pas si… je crois qu’on devrait appeler la police, non ?     Gardons-le ce soir, et pour la nuit, on préviendra la police demain matin, pleeeease darling.     Ok mais c’est toi qui t’en occuperas, moi je bosse ce soir, et d’ailleurs où comptes-tu aller ? tu vas pas squatter le bar, j’espère ?     J’avais pensé que…  I promise you que je serai sage, dans un coin du resto, je m’occuperai du petit, j’en prendrai soin, laisse-nous t’accompagner.     Je veux bien, mais tenez-vous à carreaux !(image : Têtes dans un paysage, Goya)

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