Nous sommes au cœur de l’hiver et les températures nous le rappellent chaque matin. Gel, verglas, neige, vents forts et marées du siècle sont notre lot quotidien. L’expérience a cependant montré que, passés ces jours de froidures et de pluies, le printemps, comme chaque année, sera de retour suivi de l’été avec ses plages de sable blond. Après les ripailles du solstice et les excès inhérents, il convient de songer à éliminer les graisses superflues qui ne sauraient alors s’exposer. À celles qui l’auraient oublié, les magazines féminins ne manquent pas de leur fournir force avertissements et conseils plus ou moins judicieux, photos retouchées à l’appui. Les livres de nutritionnistes se joignent au concert : comment maigrir sans régime et sans efforts, sans sel, sans sucre, sans viande, sans gras mais sans oublier toutefois d’ajouter des oméga3, du fer, des vitamines B, D, E et C et donc de consommer comme le préconise la doxa officielle cinq légumes bios, de saison et de proximité par jour (choux frisés, de Bruxelles, brocolis ou pommés, panais, radis noirs, topinambours, poireaux, endives, navets et autres salsifis). Il semble malgré tout que cette remarquable dépense d‘énergie ne sera pas suffisante pour atteindre les ambitieux objectifs fixés aux lendemains des fêtes. Une nouvelle méthode réputée 100% efficace et 100% durable vient de sortir sur les étals : celle aux deux repas par jour agrémentés d’un en-cas plaisir. Il fut une époque où la question ne se posait pas tant il n’était pas toujours facile de se restaurer aussi copieusement. Un oignon accompagné d’un quignon de pain dur frotté à l’ail composait l’en-cas du matin. Une soupe où nageaient quatre quartiers de navet clôturait la journée avec, selon la saison, une pomme, une poire ou rien du tout. Mais nous vivons un autre temps torturé par des préoccupations autrement existentielles et philosophiques où les problèmes de courbes trop généreuses sont précisément d’une brûlante actualité. Les légionnaires romains en faisaient peu de cas lorsqu’ils dessinaient une voie romaine. Ils chevauchaient allègrement gorges et mamelons sans autre forme de procès tant leur souci était de tracer la ligne la plus directe d’une ville à l’autre. Pour nos ingénieurs d’aujourd’hui au contraire, peu leur chaut que la route ne soit pas rectiligne pourvu qu’elle soit aussi plate qu’un mannequin de haute couture et ils n’hésitent pas, pour ce faire, à creuser des entailles dans les collines et à enjamber les vallées. Mais c’est encore la science de la statistique qui fait le plus grand usage de courbes. Pour être immédiatement compréhensible, elle a inventé les abscisses et les ordonnées qui permettent d’obtenir très facilement des tracés entrant dans le cadre stricte d’un écran de télévision. Chacun peut ainsi, dès le premier coup d’œil, faire la différence entre une courbe montante et une courbe descendante. Le jeu consiste alors, comme pour toute coquette ambitionnant d’améliorer les siennes, à tenter de retourner leur tendance. Tel adepte du Docteur Coué et de la Pythie de Delphes annoncera, hélas sans succès, l’inversion de la courbe du chômage. Tel organisateur de congrès international écologique militera pour l’inversion de la courbe du réchauffement climatique. Tel homme politique ayant rapidement connu une courbe de popularité dangereusement descendante, rêvera à son inversion. Puis l’ayant enfin obtenue au détour de circonstances indépendantes de sa volonté, il souhaitera qu’elle se révèle aussi 100% durable que le dernier régime à la mode. Hélas, qu’elles se cambrent ou qu’elles se cintrent, qu’elles se renflent, se gondolent, se bombent, se voûtent, s’infléchissent ou s’incurvent, les courbes quelles qu’elles soient obéissent toujours aux dures lois de l’éphémère. À moins qu’un nouveau régime encore inconnu n’apparaisse dans les kiosques. Tout redeviendrait alors possible et notre monde hexagonal pourrait poursuivre clopin-clopant, sa marche hésitante sur le chemin de son futur.
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