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Vivre à la campagne

Publié le 05 février 2015 par Rolandbosquet

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      Paisiblement retiré dans mon courtil perdu au cœur des Monts, j’ai vécu pendant vingt ans sans autres voisins que mes amis agriculteurs Hélène et Sébastien. Puis Mathieu et sa compagne Juliette ont fait construire une maison dans un champ mitoyen. Je suis depuis lors régulièrement assigné à résidence pour garder leur fille Anaïs avec la qualité de Papet. Mais la pression démographique et domaniale est telle qu’un autre jeune couple a également choisi de s’égarer dans nos profondeurs campagnardes pour s’y établir. Sauf retards ou impossibilités diverses, leur maison devrait prochainement sortir de terre de l’autre côté de la route. Nous passerons ainsi d’un régime d’habitat dispersé à un régime d’habitat groupé. Le facteur aura quatre boites aux lettres à remplir de dépliants publicitaires et, accessoirement, de quelques factures administratives. Le camion de ramassage des ordures ménagères consentira peut-être à faire le détour jusque chez nous, honorant ainsi les taxes versées à ce titre aux services municipaux. Le boulanger du bourg, qui consacre ses matinées à visiter les hameaux environnants pour y vendre son pain, se décidera peut-être à venir dorénavant nous le proposer. Le conseil municipal lui-même se verra dans l’obligation d’envisager des travaux de voirie avec rond-point et abri de châtaigner pour assurer l’accès sécurisé d’un car de transport scolaire. Dûment informés, les services départementaux de l’inspection académique ne pourront plus, comme prévu, fermer la classe de cours préparatoire pour cause de désertification.  Ils seront même dans l’obligation de pérenniser l’actuel poste de professeur des écoles qu’ils semblent pour l’heure avoir réservé aux seuls intérimaires. La Sécurité Civile, qui ignorait jusqu’alors notre existence, va devoir se pencher sur l’organisation des secours. Bouche d’incendie pour les pompiers, piste d’atterrissage pour l’hélicoptère du Samu, aire de stationnement pour la gendarmerie, mise à jour des fichiers, cartes et autres documents réglementaires, formation des personnels à la consultation des vidéos de Google Maps. Ce sera d’ailleurs l’occasion de renouveler une fois de plus mais sans plus d’illusions notre demande pressante de création d’une ligne téléphonique à haut débit sinon très haut débit afin de permettre aux citoyens ordinaires que nous sommes d’avoir enfin un accès à peu près correct à internet à un prix comparable à celui demandé aux citadins. Mais si nos futurs voisins ne souhaitent pas ou ne parviennent pas à donner naissance à quelque progéniture, il est bien évident que tout ce programme d’investissement deviendra caduc. Certes, les comptables souffleront d’aise dans leurs bureaux, tout en déplorant, la larme à l’œil et la main sur le cœur, que les campagnes se vident de leurs habitants. Certes, nous serons, sur place, épargnés d’interminables et bruyants déplacements de camions, d’autobus, de camionnettes et autres fourgons de livraison et nous conserverons une paix jusqu’ici seulement troublée par quelques vols de choucas évadés du clocher du bourg et les percées sporadiques des buses domiciliées dans les bois alentours. Mais que pèsent tous ces inconvénients face à des rires d’enfants ? Comment, sans eux, le monde avancerait-il sereinement vers l’avenir de son futur ?

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