Magazine Humeur

Des rêves hauts et généreux.

Publié le 03 mars 2015 par Rolandbosquet

reves

      Le travail d’un jardinier ordinaire se résume, en gros, à deux tâches essentielles. D’une part, il lui faut tenter de maîtriser les débordements de la nature. Ramasser les feuilles mortes à l’automne, couper les fougères roussies par le gel, élaguer les noisetières qui débordent sur les parterres de fleurs, tailler les rosiers et tondre la pelouse. D’autre part, il doit s’attacher à préparer les récoltes à venir. Semer les radis roses 18 jours, planter les choux et les poireaux, sarcler les salades, butter les haricots, couper les fleurs fanées des rosiers et tondre la pelouse. En un mot, comme un édile municipal veille avec modestie et constance sur l’organisation de la Cité, le jardinier règne en bon père de famille sur son courtil et aide chaque plante à s’épanouir. Hélas ! Beaucoup d’hommes politiques, comme la société, sont aujourd’hui largement coupés de leurs racines champêtres. Au début des années soixante, quitter la terre pour aller travailler en usine et habiter en HLM avec tout confort représentait presque une promotion sociale. Tu feras des études, mon fils, disaient les pères. Je veux que tu travailles en chemise blanche et cravate et que tu ne mettes pas les mains dans le cambouis comme moi. Encouragés par ces perspectives attrayantes, les fils travaillèrent d’arrache-pied. Il le fallait. Les méthodes d’élimination des plus faibles de l’Éducation Nationale étaient déjà très performantes à l’époque. Les forts en math ont tiré leur épingle du jeu et sont devenus hauts fonctionnaires, conseillers des princes, députés, ministres. Ils ignorent tout bien sûr du labourage et du pâturage. Ils n’ont jamais arraché la moindre mauvaise herbe de leur vie, coupé une fougère et moins encore planté un arbre. Ils n’ont jamais mis les mains dans le cambouis non plus et s’ils ont aperçu les ateliers des dernières usines, c’est par hasard et depuis le bocal de verre de leurs bureaux d’études. Que peuvent-ils dire aujourd’hui à leurs propres fils de 15 ans ? Ils ne peuvent plus devenir riches puisque, comme l’explique si bien Thomas Piketty, les plus riches sont de plus en plus riches et que les autres sont aspirés vers la pauvreté. Ils ne peuvent guère travailler plus comme le conseillait le père de la fable à ses enfants, "travaillez, travaillez, c’est le fond qui manque le moins". Tout est organisé au contraire pour qu’ils travaillent de moins en moins sinon même plus du tout. Il n’y a plus, par ailleurs, de territoires inconnus à découvrir. Le monde est devenu un village et les Vasco de Gama et autres Christophe Colomb n’ont plus que l’espace pour rêver. Ils peuvent encore jouer des coudes pour se procurer le dernier smartphone avec les toutes dernières applications. Mais cette bataille, pour homérique qu’elle soit, suffit-elle à elle seule à constituer un projet d’avenir enthousiasmant ? Où sont nos penseurs, où sont nos philosophes capables d’apporter à notre siècle à la pensée un peu délabrée des idées innovantes et riches de promesses ? Où sont les hommes politiques capables d’oublier le souci immédiat de leur réélection et de leur indiquer de nouveaux horizons à dépasser, de nouvelles frontières à franchir, de nouvelles terres à défricher ? En attendant ces nouveaux Jean Jaurès, Winston Churchill, Maurice Schumann ou autres Kennedy, il ne faut pas s’étonner qu’ici ou là des jeunes en quête d’absolu et de don de soi se dévoient sur des pistes mortifères comme les enfants de la légende suivaient le chant de la flûte du magicien. Offrez leurs des rêves plus grands, plus hauts, plus généreux et peut-être reviendront-ils sur les chemins de leurs pères ou, au moins, ne les quitteront ils pas !  

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