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Mauvaise mère

Publié le 11 mars 2015 par Chapeauperuvien

Ce post est dans mes brouillons depuis plus de huit mois. La frousse de le publier, de me faire pourrir, le fait de ne jamais lire des mots à ce sujet qui aillent dans le même sens que moi. Les frissons après avoir tapé « Je n’allaite pas » il y a quelques mois dans Google.
Mais l’espoir d’être comprise, d’être entendue, et surtout de peut-être déculpabiliser une poignée de lectrices qui se seraient trouvées dans le même cas que moi, a été plus fort.

Je suis une mauvaise mère. Je n’ai pas allaité.

Avant d’être enceinte, plus jeune, je me disais que j’allaiterais. Forcément. Je ne me posais même pas la question en fait. Donner le sein c’était un passage obligé, il n’y avait pas de choix à faire.

Quand ce projet de bébé est venu m’habiter, frapper à la porte de mon cerveau, de mon cœur, de mon corps, tous les jours, tout le temps, partout, mais que je ne me sentais pas encore prête, je me suis mise à m’intéresser doucement au monde merveilleux de la maternité, j’ai acheté deux trois bouquins, et surtout, j’ai regardé les Maternelles, tous les matins en prenant mon petit déjeuner.
Un jour, le thème de l’allaitement s’y présente. Nathalie Le Breton commence sa gentille propagande…
Et puis intervient le spécialiste, un sage-femme génial, Benoit Le Goëdec (co-auteur de ce livre parfait à offrir à un futur papa), qui tient un discours qui me fait instantanément me sentir mieux. Je me détends sur mon canapé. Ce monsieur, vient de claquer le beignet avec une immense délicatesse à tous ceux qui promettent des enfants obèses, aux estomacs fragiles, mal dans leur peau, moins intelligents que les autres, sûrement futurs terroristes, et des liens mère-enfant exécrables, bref une maternité ratée à celles qui n’allaitent pas. À tous ceux qui ne cessent de juger celles qui ne le font pas, ne peuvent pas ou n’en ont pas envie.
Ah parce qu’on a le droit de ne pas avoir envie ? Je sens de nouveau une vague de soulagement envahir tout mon corps. Benoit Le Goëdec conclut en disant qu’il faut vraiment le vouloir, en avoir l’envie, et ne le faire pour personne d’autre que soi. Il défend évidemment l’allaitement au sein, mais défend surtout le droit des femmes de choisir ce qui est le mieux pour elles. J’ai envie d’embrasser l’écran. C’était la première et la dernière fois que j’ai entendu ce discours.
Je me dis alors que, tiens, oui, c’est vrai, j’ai le choix. Et qu’il faudra que je réfléchisse à ce sujet.

Et puis mon petit cupcake s’installe au creux de mon utérus, grandit, grossit…
Viennent les échographies et l’entretien avec la sage-femme, première séance de « préparation à l’accouchement et à la parentalité ».

Le contact passe bien entre nous, mais à la question « Souhaitez-vous allaitez ? », je sens qu’elle n’attend rien d’autre qu’un oui. Je réponds « Je ne suis pas sûre, on verra ». Je lis dans son regard et le petit rictus qui se dessine sur sa bouche que son objectif est simple : à la fin des 8 séances, il faudra que je sois convaincue que je dois le faire.
Dans sa question pourtant, il y avait bien la preuve qu’il y a là un choix à faire. Qu’on a le choix, d’allaiter ou de donner le biberon.

On nous fait croire qu’on a le choix.
Vient cette équation diabolique, lors du cours de préparation dédié au sujet : « Allaiter son enfant, c’est vouloir le meilleur pour lui, n’est-ce pas ? Vous ne voulez pas allaiter votre enfant ? Vous ne voulez donc pas le meilleur pour lui ?! ».

Mauvaise mère, vous disais-je.

Je n’évoquerai pas la réflexion de cette même sage-femme à ma voisine, ivoirienne : « vous, femme africaine, vous allaitez forcément n’est-ce pas ? ». Bref.

Si au début de ma grossesse, je me disais que j’allaiterais peut-être ce bébé les quelques premières semaines, à la fin je suis catégorique.
Nous en parlons pendant des heures avec mon chauve, des soirées entières, sans dispute puisque dès le début nous sommes d’accord. De toutes façons ma décision sera la sienne, il me l’a dit, il m’encouragera quelle qu’elle soit. (Et je sais que j’ai de la chance pour ça. J’ai vu nombre de mes amies sans enfant aborder le sujet devant moi avec leur compagnon et se voir répondre « Quoi ? Mais bien sûr que si que tu allaiteras ! Tu es faite pour ça ! »).

Alors voilà, on y est. Je n’ai absolument aucune envie de le faire.
Je ferai la « tétée d’accueil », parce que dans ce moment si pur, si animal qu’est l’accouchement, cela me paraîtra tout naturel, et aussi pour ne pas mourir bête. Mais je m’arrêterai là, à moins d’une révélation.
Je vous passe toutes mes bonnes raisons, je n’ai pas envie qu’on en vienne à débattre sur ces arguments très personnels et intimes, ce serait une très mauvaise idée.

Mais envahie de discours extrémistes et de mauvaise foi sur le sujet, j’en suis venue à en être proprement dégoûtée.

Moi qui n’étais déjà pas très emballée par l’idée, l’insistance de la sage-femme à grand renfort de culpabilisation a eu sur moi l’effet inverse que l’effet souhaité.
Ne pas allaiter fait de moi une mauvaise mère ? Soit ! Je serai donc une mauvaise mère. Mais comme ça, mon mari lui sera un père génial. L’alimentation de mon bébé ne dépendra pas que de moi, nous aurons les mêmes « pouvoirs » vis-à-vis d’elle, il n’y aura rien que je saurai faire mieux que lui. Et avec un bébé qui mange toutes les 4 heures, à raison d’un biberon sur deux, cela nous laisse à lui comme à moi de quoi faire des nuits très correctes, et toute la vie normale qui s’en suit.

La naissance de Victoria ne s’est pas passée « comme prévue » (oui je sais, rien ne se passe jamais comme prévu surtout en matière d’accouchement), je n’ai donc pas eu l’occasion de faire la tétée d’accueil.
Je ne le regrette pas, je suis très bien dans mes derbies vis-à-vis de ça, c’est ainsi. Je regrette plus de ne pas avoir eu Victoria contre moi durant ses premières heures, mais on ne choisit pas.

Je me suis donc accordée le droit de ne pas allaiter, malgré tout ce que j’ai entendu, malgré les réflexions et les regards. Victoria était marquée « AA » sur son petit bracelet, pas alcoolique anonyme, non, allaitement artificiel ! J’ai pris ces petites pastilles pour couper les montées de lait, petites pastilles qui semblent-ils ne sont quasiment plus distribuées dans les maternités. Faut se bander les seins, à l’ancienne !

Sincèrement ? Je ne regrette pas une seule seconde. Mais alors vraiment pas.

Cela a collé et colle toujours au mieux à notre mode de vie à tous les trois. Notre équilibre n’est sûrement pas parfait mais il nous convient vraiment, il a été taillé sur-mesure pour nous. Cet équilibre est le nôtre et il nous rend heureux.

Vous ne me croirez peut-être pas, mais cela fait 15 mois que Victoria est née, et nous n’avons traversé aucune crise.
Je n’ai pas connu cette fatigue intolérable dont on m’a tant parlé, j’ai juste eu un aperçu en rentrant de la maternité et ça m’a suffi.
Je n’ai pas connu la haine que tant de femmes m’ont racontée, cette haine ressentie envers le père, malgré tout l’amour qu’on a pour lui, cette haine de se dire qu’il est là à côté, qu’il voudrait bien aider, mais qu’il ne peut pas faire à notre place.
Personne n’a de recette miracle, et je galèrerai sûrement avec un prochain bébé. En attendant, ma potion magique à moi, la recette du bonheur des premiers mois de Victoria, je sais pertinemment qu’elle tient en grande partie dans ce choix là, dans le biberon.

Je crois qu’on ne peut pas être contre l’allaitement, et malgré tout ce que je viens d’écrire et la merveilleuse expérience de non-allaitement que j’ai vécu, je trouve ça fabuleux. Comment pourrait-t-on être contre la nature ? Peut-être que pour un prochain bébé j’en aurai envie…
Cependant, une alternative existe et pas depuis 5 ans hein, depuis plus d’un siècle ! Si elle est aussi mauvaise que ce qu’on nous répète partout, des cabinets de sage-femme aux écrans de toutes sortes, alors pourquoi n’est-elle pas interdite ?
Il est bien normal de favoriser l’allaitement maternel, mais attention aux moyens utilisés. Culpabiliser les femmes, je trouve ça dégueulasse. Surtout à une époque où il est dit et écrit partout qu’il faut D É C U L P A B I L I S E R les mères, continuer à aller prendre l’apéro, laisser ses enfants à une baby-sitter, continuer à travailler sans remords.
La culpabilité est le mal qui ronge le monde, et en donnant la vie on s’en prend déjà une grosse couche sur les épaules, alors pourquoi en rajouter ? Pourquoi utiliser ce moyen là ? Ah, parce que ça marche ? Et bien pour moi ce n’est pas une bonne raison. Je suis contre cette forme de terrorisme, car oui, c’en est une.

On m’a quand même dit que j’allais complètement rater ma relation avec ma fille.
Je ne comprends pas qu’on puisse dire des choses pareille à une jeune maman.
Se forcer à donner le sein pour nourrir son enfant, quand ça dégoûte, quand ça fait odieusement mal, quand on a vraiment pas envie et qu’on est tellement tellement fatiguée… C’est pas plutôt ça qui risque de nuire à la relation ?

Si j’écris ce post, c’est pour deux raisons :
La première, c’est parce qu’une amie, enceinte de quelques semaines lors de la naissance de Victoria, est venue me rendre visite avec son mari quelques jours après mon accouchement. Lorsqu’elle a vu le biberon posé sur la table, elle m’a demandé « Ah mais vous faites allaitement mixte alors ? ».
Quand j’ai répondu que non, que Victoria était exclusivement nourrie au biberon, j’ai vu ses épaules se débloquer, les commissures de ses lèvres remonter. Son corps entier apaisé d’un coup. Puis je l’ai vue se tourner vers son mari en s’exclamant : « Tu vois, c’est possible ! T’as entendu ? Marie n’allaite pas ! ».
L’OMS va me tomber dessus mais j’ai l’impression que mon témoignage l’a soulagée au plus haut point, l’a déculpabilisée un peu. Elle n’avait pas du tout envie de le faire mais s’en voulait déjà tellement.
Depuis son bébé est né, et on se surnomme les mauvaises mères.

A la maternité, une sage-femme géniale m’a dit « personne ne vous forcera, je vous le promets. Plus de la moitié des femmes en maternité allaitent pour quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes : leur mère, leur mari, leur belle-mère, quelqu’un qui ne supportera pas qu’elles ne le fassent pas, parce que ça ne se fait pas de ne pas le faire. Je peux vous dire qu’après c’est nous qui galèrons à essayer de mettre en route des allaitements sans vraie motivation ».
J’ai lu qu’il était dommage que les sage-femmes en maternité découragent rapidement les mamans et leur proposent trop vite un biberon. Personnellement, je leur serai éternellement reconnaissante de ne pas m’avoir accablée, de m’avoir encouragée dans mes premiers pas de maman.

La seconde, c’est parce que j’ai découvert après quelques soupçons et une petite recherche que les marques d’alimentation infantile ont la formelle interdiction de promouvoir (ça d’accord) mais aussi de communiquer à propos de leurs produits premier âge (0-6 mois). Pour favoriser l’allaitement maternel. (Pour ceux que ça intéresse : Décret n°98-688 du 30 juillet 1998, mais aussi Loi n° 94-442 du 3 Juin 1994 et Arrêté du 11 janvier 1994 modifiant l’arrêté du 1er juillet 1976).
Comme je l’ai dit plus haut, je trouve ça tout à fait normal de le favoriser, de le défendre. Mais si la loi interdit cette information, qui saura me dire quel produit est nécessaire à mon bébé souffrant d’un reflux ? Et si en plus il a des risques d’allergie au lait de vache ?
Ces produits, certes, comme tous produits, sont soumis à des règles commerciales, entourées de marketing à outrance.
Dans notre cas, le lait en poudre qu’il nous fallait ne se trouvait qu’en pharmacie.
Et bien à cause de cet arrêté, même les pharmaciens étaient incapables de nous renseigner, puisque pas informés. Certains m’ont soutenu mordicus que le produit que je demandais n’existait pas, alors que nous en avions commandé dans une autre pharmacie quelques jours auparavant… C’en devenait presque drôle !

Alors moi je suis une capricieuse, je n’avais pas envie d’allaiter alors que j’avais du colostrum dès le quatrième mois de grossesse… Mais comment font celles qui ne peuvent pas ? Celles qui n’ont pas de lait ? Celles qui voudraient bien mais qui ont des putains de crevasses en plus de ces saloperies d’hémorroïdes qui les font tellement morfler qu’elles n’arrivent même plus à penser ? Et celles qui, dès que le bébé se met à téter, se surprennent à avoir des pensées suicidaires ? On en parle ? On les somme de continuer ?!
Et les bébés adoptés ? On leur promet un avenir pourri ? Obèses, sous-doués, terroristes et fâchés avec leur mère adoptive ? J’aurais bien demandé son témoignage à Steve Jobs, mais bon… Je préfère celui de ma cousine, la plus intelligente et la plus jolie des jeunes filles de 16 ans, née au Vietnam, arrivée en France à 2 mois.
Je peux vous dire que moi à 8 ans, j’étais plus fière que tout de pouvoir lui donner le biberon, d’avoir le pouvoir de la nourrir.

Idéaliste, je voudrais juste qu’il n’y ait pas besoin d’être pour ou contre, pas besoin de juger, pas besoin de terroriser les femmes dans les choix qu’elles font. Cette décision est tellement personnelle, tellement intime… Soyons nous-mêmes, les seins à l’air ou pas ! Soyons amies ! Et quoi qu’on fasse, notre bébé pensera toujours que c’est nous la meilleure ! (J’avais lu et trouvé cette phrase terriblement bateau et niaise pendant ma grossesse, et finalement, elle est bien réconfortante, et vraie !).

biberon


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