Pierre, Pôle, Jacques et les autres
Ô lecteurs adorés, la plupart bruns, ascendants bélier, je suis sûre que vous vous demandez de quoi vivai-je parallèlement à mon blog ? Tous les après-midi, j’aide une amie sur les marchés dans le 19 ème arrondissement ; nous vendons des vêtements qu’elles rachètent à des grossistes ou à des magasins en faillite. Travail alimentaire que j’aime et qui me permet de ne plus avoir de découvert à la banque. En marge du système ? Oui. Volontairement ? Grand Dieu, non !
J’étais au chômage depuis six mois, après dix ans chez SFR comme secrétaire de direction. Épaulée, par nulle épaule, je perdurai à Pôle emploi, sans trouver de travail. Lasse, je pris un rendez-vous avec mon conseiller qui m’en donna un pour…le mois suivant.
J’entrai dans l’agence le 18 avril 2010 ; je me souviens de la date parce que c’était la Saint Parfait -bon signe pour un entretien. D’un air blasé, un vigile inspecta ma convocation puis me dit de rejoindre les personnes qui attendaient, assises sur des chaises, dans un recoin de la salle .
Pôle emploi
Nous étions une trentaine avec le même profil : visage fatigué, cernes sous les yeux, traînant une colère sourde ; trente personnes qui avaient toutes rendez-vous à 15 heures, à Pôle emploi, avec le même conseiller pour…un entretien individuel !!! Manifestement il y avait une erreur. J’allais expliquer la situation à la personne de l’accueil. D’un ton dédaigneux, elle me dit:
-Si on vous a tous convoqués c’est qu’il y a une raison. Que voulez-vous que j’y fasse ? En ce moment, nous sommes débordés.
Je n’insistai pas, retournai m’asseoir .
« Que voulez-vous que j’y fasse » réponse de la potiche résignée, qui restera toute sa vie dans sa case. « Mademoiselle, Pôle Emploi est inefficace depuis des années ; que voulez-vous que j’y fasse ? Prendre des initiatives ? Alerter mes supérieurs ? C’est trop dangereux : la hiérarchie est inflexible. D’ailleurs nous autres, employés, nous n’osons pas sourire de peur de changer le cours du destin. »
ll y avait comme une frontière entre les poux, nous, qui depuis des mois s’accrochaient désespérément à un conseil, à la réponse d’un employeur, une annonce sur Internet et les salariés de l’agence ; une frontière, voire un fossé, entre les quatre conseillers retranchés derrière leur bureau, protégés par des cloisons, et le groupe de chômeurs, parasites placés en quarantaine au fond de la salle. A mesure que le temps s’écoulait, bientôt plus d’une heure, certains chômeurs s’énervaient, soupirant, discutant si bien que lorsque Dame Meurtre arriva, cela n’étonna personne. Elle scrutait nos visages défaits par la fatigue et le stress , s’imprimait peu à peu dans nos pensées. Malgré sa face hideuse, nous la regardions avec envie. Je lui fis un signe discret de la main:
-Pardon madame, auriez-vous un bazooka par hasard ?
Elle me sourit ; de grandes dents noires.
-Oui, j’ai un bazooka mais j’ai aussi un superbe pistolet mitrailleur, le M 5 90 ; il a une capacité de tir satisfaisante, il est précis, léger ou…j’ai un superbe fusil, le AK 44 moins précis mais d’une efficacité redoutable.
-Je vais prendre le bazooka ; le fusil, ce sera pour la prochaine fois.
Dame Meurtre me tendit l’arme. Le contact dur et froid du métal me revigora.
A 16 h30, la conseillère vint me chercher, me pria de la suivre dans son bureau. Je cachai mon enthousiasme vis à vis des autres chômeurs qui me fixèrent tous, médusés.
Pôle Emploi, pôle Nord
«Bonjour Madame » L’entretien commença par « bonjour Madame » ; en fait c’était un faux départ.
Je saluai la conseillère à mon tour. S’ensuivit un silence glacial. La conseillère m’observa pendant de longues secondes. Si elle croyait m’impressionner ; je dardai sur elle mon regard de tueuse. Nous patientions en nous-mêmes.
Le premier conseiller qui m’avait reçue lors de mon inscription, Monsieur Chardon lui, était aimable, ne piquait pas. Elle, c’était autre chose : grand stalagmite, la soixantaine poussiéreuse, le cheveux poivre et sel, fagotée comme l’as de pique. Je jetai un coup d’œil sur son bureau : des dossiers, des papiers par-tout, une tasse de café à moitié vide et des post-it collés sur le coin de l’ordinateur. L’ordinateur ? Il était comme cette femme, vieux et gris , il datait de l’ère soviétique. Alors ça va, Douchka , pas trop froid ?
L’entretien débuta par une question subtile: « Madame….Léanne, c’est bien votre nom ? »
-Oui, dis-je.
De la poche de son chemisier, la conseillère sortit ses lunettes qu’elle chaussa avec soin.
-Pourriez-vous me donner votre convocation, sil vous plaît ?
Je lui remis le passe-droit qu’elle examina puis tapota sur son ordinateur.
-Voilà votre profil, votre dossier dit-elle d’une voix atone. Votre métier est secrétaire de direction ; depuis décembre 2010 vous êtes sans emploi, c’est ça ?
-Exact. Je travaillais chez SFR . Pour des raisons économique, j’ai été licenciée. Depuis je cherche activement.
-Et en ce moment où en sont vos recherches ?
-Au point mort…(Tu le seras bientôt si tu continues à me mépriser ainsi )
-Madame Léanne, avez-vous amenez les réponses à vos candidatures ? Vous savez qu’il me les faut.
Je posai un gros paquet de feuilles sur son bureau ; cent quarante lettre de refus.(Vas-y, compte Douchka!
Elle les compta, cette abrutie ! J’en profitai pour baisser ma garde.
-140 lettres de réponse, ce n’est pas beaucoup.
J’étais touchée ! En une demi seconde, la conseillère avait prit son pistolet caché sous sa table et avait tiré. Je regardai mon ventre : un filet de sang coulait du côté droit. Rien de grave, heureusement ; la balle avait transpercé la peau puis était ressortie. Ouh !La peur de ma vie…Je fusillai la conseillère du regard: tu veux jouer à jeu-là ?!? En un éclair, j’attrapai mon bazooka et lui balançai une rafale en plein visage.
-Attendez, cent quarante réponses, c’est énorme ! Plus toutes les candidatures envoyées par Internet ; seulement sur le Net, les recruteurs ne répondent pas. (C’est l’ère moderne, à défaut de l’ère soviétique).
La conseillère était sonnée ; elle marqua un petit temps d’arrêt, histoire de retrouver ses esprits. Imperturbable, je rechargeai mon bazooka.
-Vous avez raison, dit-elle. Bon, madame Léanne quand vous passez vos entretiens, avez-vous le sentiment d’avoir réussi ?
-Oui, la plupart du temps. Je suis à l’aise à l’oral ; parler devant des gens ne n’impressionne pas. C’est juste qu’il y énormément de candidates ; pour vous faire une idée, environ 100 candidates pour un 1 seul poste.
Elle acquiesça d’un air pensif, se replongea dans l’ordinateur pour étudier mon dossier. D’un geste affectueux, je caressai mon arme. Plusieurs secondes s’écoulèrent, pendant lesquelles j’attendai, cette fois-ci sur mes gardes.
-Eh bien, madame Léanne, finit-elle par dire, vous avez les qualités requises, l’expérience, les diplômes pour retrouver un poste de secrétaire de direction ; cependant vous ne semblez pas déployer une énergie suffisante ; je pense que c’est pour cette raison que vous ne trouvez pas de travail. L’énergie, le dynamisme, il faut le montrer au recruteur.
C’était qui cette cruche ? D’où elle sortait? Elle voulait que je la bourre de plomb ?!? Moi, manquer d’énergie ?!? Furieuse, je me levai de ma chaise et contourna le bureau. La conseillère, effrayée recula précipitamment sur son fauteuil à roulettes. Je donnai alors un violent coup de pied à travers l’écran de l’ordinateur. Mon pied était resté plus ou moins coincé à l’intérieur, je n’eus aucun mal à le dégager : la rage avait décuplé mes forces. Puis j’envoyai valser tout ce qui était sur le bureau : dossier, paperasses, stylo, tasse de café…Je commençai à m’attaquer au reste du mobilier quand deux vigiles m’immobilisèrent en me plaquant contre un mur.
-Calmez-vous, madame, calmez-vous….
-C’est la conseillère ! beuglai-je en insistant sur la première syllabe, la CON-SEILLERE !!!
Voilà comment j’ai été radiée de Pôle Emploi. Un mal pour un bien car j’aime travailler sur les marchés ; il y a un vrai contact humain.