Rien n’est simple. Ainsi, à coup d’experts en tout, de calculs savants et d’analyses dignes du décryptage d'une recette de cuisine, tous les médias ont rythmé pendant des semaines le tempo des dernières consultations électorales. C’était sûr et c’était certain, les couleurs des départements allaient virer au bleu foncé. Le rose a pâli, certes, sinon même disparu. Le bleu et l’orange s’installent à grand renfort de cymbales et de flonflons. Les accordéonistes avaient sorti leur instrument des placards mais la valse brune n’a pas eu lieu. La farandole n’est même plus une simple bourrée et moins encore un festnoz, tout juste une modeste marche de fin de soirée pour danseurs fatigués. Mais les lampions ne sont pas éteints pour autant et le bal n’est pas terminé. La petite musique s’est incrustée dans les esprits et son rythme lancinant va demeurer dans les mémoires. À la prochaine occasion, les jambes vont de nouveau frétiller d’impatience, les bombardes et autres vielles à roue jaillir de leurs étuis et les violoneux empoigner leur crincrin. Car, d’ici là, les vraies questions seront restées, une fois de plus, sans réponses. Les syndicats auront continué de défendre bec et ongles les droits inaliénables des travailleurs bénéficiant d’un emploi sans se soucier de ceux qui n’en ont pas. Les précaires ne seront pas moins précaires et seront toujours contraints d’aller quémander de quoi manger jusqu’à la fin du mois. Et les sans-abris ne recouvreront toujours pas de toit pour vivre dignement et continueront de mourir sur les bancs publics ou sous les ponts dans l’indifférence générale. À l’instar de leurs prédécesseurs, les nouveaux élus auront puisé dans l’impôt pour remercier leurs électeurs. Les administrations auront poursuivi leur train-train quotidien en évitant soigneusement de lever la tête de peur de voir la vraie vie qui s’agite au-delà de leurs bureaux. On aura parlé bien sûr ici ou là de disfonctionnements malheureux et diligenté des enquêtes. Leurs rapports n’auront guère abouti qu’à la création de commissions subventionnées par l’impôt qui auront préconisé le statuquo de crainte que quelque chose ne change dans la belle ordonnance routinière à laquelle s’agrippe notre société. Un énième carrousel de ministère aura même ébaudi les gogos et aiguisé l’imagination des commentateurs. Mais la vaine agitation ainsi créée aura surtout détourné les regards des réalités objectives et diverti l’attention. Les pythies resurgiront alors dans les écrans avec de nouveaux graphiques et de nouvelles courbes. Des envolées lyriques à grand spectacle tenteront de nouveau d’enflammer les tréteaux, les raccourcis et les amalgames sillonneront encore et toujours les marchés du samedi matin dans les quartiers à bobos et les dernières foires campagnardes pour néoruraux producteurs de fromage de chèvre moulé à la louche en bois s’animeront de refrains nostalgiques. Et chacun s’étonnera de nouveau de constater que non seulement les trois temps de la valse brune ne se sont pas endormis mais qu’ils titillent toujours plus fort les mollets des danseurs en mal de reconnaissance et en attente désespérée de considération. Certes, rien n’est simple mais quand se décidera-t-on enfin à envisager l’avenir autrement que comme une mauvaise réplique du passé pendant que le monde autour de nous marche à grands pas sur les chemins de son futur ?
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