Magazine Journal intime
L'emmerdeur
Publié le 31 mai 2008 par CorckyParfois, mon boulot me donne envie de commettre un meurtre.
D'étrangler quelqu'un.
De décapiter le quidam.
Limite, de l'éviscérer.
Voire de me faire une raquette de tennis avec ses tripes et de faire un double en me servant de sa tête (Roland garros oblige).
Prends monsieur B, par exemple.
Monsieur B, c'est le genre de mec que tu n'as vraiment pas envie de croiser dans la rue.
Non pas qu'il soit particulièrement crade, ni même agressif.
Non.
Monsieur B, c'est la caricature du grand parano procédurier mythomane, également appelé le GPPM.
Le GPPM est un individu fascinant qui attire l'attention de toute personne un tant soit peu versée dans la sociologie, la psychologie, la psychiatrie ou même l'ichtyologie et l' ophiologie.
Le GPPM pourrait faire l'objet de longues thèses universitaires tellement il y a à dire sur son cas.
Le GPPM, il connaît du monde un peu partout, il a ses entrées jusqu'à l'Elysée, il est pote avec Georges Bush et il menace de faire un procès à n'importe qui, n'importe quand. D'ailleurs, il a croisé Jacques Verges au Fouquet's et il est en relation avec Maître Collard par téléphone portable interposé (d'ailleurs, le GPPM a toujours son portable vissé à l'oreille car il a deux procès sur le feu en permanence).
Monsieur B, même quand tu ne le connais pas, tu sais déjà que c'est un gros connard doublé d'un chieur de première, un beau spécimen de GPPM tout en plumes et en roucoulements d'intimidation.
Sa femme l'a viré parce qu'il lui avait tapé sur la gueule?
C'est une salope, et de toute façon elle le suppliera bientôt de revenir.
Ses mômes ont certifié au juge qu'ils ne voulaient plus le voir?
Des p'tits cons ingrats, lobotomisés par leur chienne de mère, et de toute façon ils le supplieront bientôt de revenir.
Les Assedic et la CAF ne traitent pas ses dossiers assez vite?
Ce sont des branleurs de fonctionnaires incapables de se sortir les doigts du cul et de bosser correctement, des sangsues et des parasites qui vivent au crochet de l'honnête citoyen qui, lui, rame comme un forcené pour mettre du beurre dans ses épinards.
Et ne va pas lui dire que question citoyenneté, il est un peu à la ramasse, vu qu'il a cogné sa bourgeoise et qu'il dort dans des parkings depuis la réélection de Chirac.
Parce que t'as pas fini de l'entendre réciter la liste des sanctions qu'il est capable de t'infliger en saisissant la Justice (oui, monsieur B, il saisit la Justice, et tu la sens bien, la majuscule).
Bien évidemment, monsieur B connaît tout un tas d'autres connards célèbres, comme Johnny Hallyday ou Michou, des mollusques du show-bizz qu'il a croisés au hasard de ses cuites monumentales sur les Champs-Elysées.
Monsieur B a parfois dîné chez Laperouse et serré la pogne de David Douillet ou de Christian Clavier, personnages hautement intellectuels et fortement engagés dans la lutte contre la précarité et l'exclusion.
Monsieur B a bu un café avec le chef du GIGN, alors faut surtout pas venir lui casser les burnes sous peine de voir débarquer un commando de petits Rambo décérébrés avec des matraques dont la taille est sans doute inversement proportionnelle à celle de leur virilité.
Au Foyer, monsieur B en a ras la casquette de tous ces basanés qui le réveillent à quatre heures du matin pour faire leur prière, de tous ces jeunes Blacks qui écoutent du rap de merde et de tous ces malades mentaux dont la place est décidément à l'hôpital plutôt que dans un centre d'hébergement.
Tu l'as compris, monsieur B m'emmerde.
A côté de monsieur B, moi, l'emmerdeuse, je ne suis qu'une petite joueuse de bac à sable.
Le pire, c'est que vu que j'habite à deux pas de mon lieu de travail, monsieur B, je le croise quasiment tous les jours.
Quand je vais à la boulangerie chercher mes croissants dominicaux, je tombe sur monsieur B, en chemise hawaïenne et tongs roses, complètement bourré malgré l'heure matinale, qui m'apostrophe du bout de la rue:
- Ehhhh, l'emmerdeuse! Fallait que j'vous dise, y'a un truc qui déconne avec mon dossier de Sécu!
- Monsieur B, c'est dimanche, je bosse pas, on en parlera demain au Foyer.
- Burps! Tu sais quoi? Tous ces pédés d'agents de la Sécu, ils vont entendre parler de moi, hein, moi j'te le dis, faut pas me prendre pour un con, non plus, bordel!
- C'est ça, oui, allez, bonne journée, monsieur B, à demain.
- Enculés!
Quand je vais au supermarché du coin pour regarnir mes étagères en céréales chimiques dégueulasses dont ma fille raffole (parce que les gosses ont des goûts de chiottes, ce qui explique que beaucoup d'entre nous aient été fans de cette pétasse de Dorothée), je tombe sur monsieur B juste après qu'il a acheté son deuxième pack de 8.6 (la bière des mecs qu'en ont), alors que le premier pack est déjà en train de barboter dans son estomac et de transformer son foie en ballon de rugby.
- Ehhh, l'emmerdeuse! Fallait que j'vous dise...Houuuu, mais c'est vot'fille, ça?
- Oui, monsieur B, alors on surveille son langage et on oublie pas que je suis en repos, aujourd'hui
- Naaaa, mais vous me prenez pour qui? Pour un gros enculé de sa race qui sait pas se tenir devant les p'tits enfants, putain?
- ....
- Dites voir, ces bâtards de la Préfecture, vous savez pas ce qu'ils m'ont dit, pour mon permis de conduire? Hein?
- Je sens que vous allez éclairer ma lanterne.
- Eh ben ils m'ont dit que je devais pisser dans un bocal avant de pouvoir le récupérer! Nan, mais vous le croyez, ça? Moi, pisser dans un putain de bocal!
- Ouais, c'est pas comme si vous vous étiez fait choper avec deux grammes dans le sang trois fois de suite, hein.
- Mais ça n'a....brôôô...rien à voir, ma couille! Rien-à-voir.
- C'est ça. Bon ben à demain, monsieur B, hein.
- Enculés!
Et quand je vais prendre le métro.
Quand je vais chez des potes.
Quand je me balade.
Quand je fais cent mètres pour aller poster ma déclaration d'impôts.
Quand je sors mes poubelles, bordel de merde.
Ce mec, c'est un gimmick humain.
Une vieille scie.
Le refrain pourri que tu n'arrives pas à te sortir de la tête parce que chaque fois que tu allumes la radio, un crétin d'animateur te balance avec l'entrain du con fini: "et maintenant le tube que tout le monde a envie d'entendre!".
Une putain de plaie, quoi.
Des fois, la nuit, je l'imagine planqué sous mon lit et sur le point de surgir comme un diable hors de sa boîte pour me souffler son haleine de poivrot à la gueule et me hurler:
- Elle dort pas, l'emmerdeuse? Eh ben moi non plus, avec tous ces salopards qui prient, qui écoutent de la musique de bamboulas, qui claquent les portes et qui pètent sous les draps! Rahhhh lovely! Arf arf arf!
Alors je me raidis sous la couette et je transpire à grosses gouttes.
En ce moment, au boulot, on a un problème, c'est qu'un gros naze s'amuse à chier dans les lavabos et les douches.
Il nous bourre aussi les cuvettes des toilettes avec le contenu des poubelles (dernière pêche miraculeuse: deux avocats moisis et une bouteille de whisky vide), nous barbouille les murs de ses productions intestinales et pisse régulièrement devant les portes des chambres.
Le truc, c'est que personne ne sait qui c'est.
Du coup, tu imagines bien que c'est un peu tendu, l'ambiance étant à la suspicion générale.
Eh ben tu sais quoi?
Moi, j'ai ma petite idée.