Cette fois, c’est décidé. Je retrousse mes manches et je m’attelle à la rude tâche de redresser la partie effondrée du muret de pierres sèches séparant mon courtil du chemin de randonnée qui le longe jusqu’au petit bois en contrebas. Depuis des temps immémoriaux et pour se débarrasser des pierres jonchant leur champ ou déterrés par la charrue, les paysans ont l’habitude d’élever ces murets et marquent ainsi les limites de leur propriété. Est-ce le travail opiniâtre des racines des arbustes qui le masquent à présent qui l’aura disloqué au point de l’en faire s’écrouler ? Est-ce quelque tremblement de terre ignoré des sismographes ? Il aura, en tout état de cause, fait moins de dégâts que celui qui vient de frapper le Népal. Monsieur Perrichon, admirant depuis la mer de glace la fastueuse immensité de la montagne, reconnaissait que l’homme est bien peu de chose face à la nature. Le peuple népalais s’en accommodait depuis des temps immémoriaux, confiant plutôt sa vie et son éternité à une aimable spiritualité. Les touristes, en nouveaux conquérants, rêvaient surtout, jusqu’à hier, à dominer ses montagnes pour admirer, du sommet de l’Everest, du Kangchenjunga ou autre Makalu, la fastueuse immensité de la Terre. Abandonnant sans vergogne sur les pentes qu’ils viennent d’escalader avec l’aide des fameux sherpas des dizaines de tonnes de déchets. Ce qui montre que l’on peut être amoureux de l’effort et de la montagne sans pour autant respecter la nature que l’on traverse et les hommes qui y vivent. En guise de punition, par ailleurs bien méritée, les grimpeurs ont désormais l’obligation de redescendre 8 kg de ces déchets en plus des leurs. Cette pratique devrait être universalisée. Les armées devraient être contraintes par convention internationale votée à l’ONU à ramasser les bombes que leurs aviateurs déversent sur leurs ennemis. Les constructeurs d’automobiles devraient être astreints à recycler l’ancienne voiture polluante avant de pouvoir en vendre une neuve. Les marchands de tabac à ramasser les mégots sur les trottoirs avant de vendre un nouveau paquet de cigarette. Tout comme les propriétaires d’animaleries les déjections canines avant de pouvoir vendre le moindre chiot. Dans le cadre de la simplification administrative, on pourrait imaginer que la maréchaussée aurait devoir d’annuler trois procès-verbaux avant d’en dresser un quatrième, la Direction des Finances de supprimer cinq taxes avant d’en prescrire une sixième et les députés d’abroger dix lois avant d’en voter une onzième. Hélas, nous pénétrons là dans le domaine de l’utopie. Comme si les météorologues devaient éliminer les nuages avant de présenter leurs nouvelles prédictions, le critique littéraire balayer devant sa porte avant de juger le dernier opus de Philippe Sollers ou de Marc Lévy ou la conseillère en régime d’amaigrissement ressembler à l’une de ces portemanteaux qui tournent comme des marionnettes dans les défilés de mode ! Imaginons malgré tout que lors des prochaines campagnes électorales, les candidats ne puissent émettre une énième promesse avant d’avoir réalisé les cinquante précédentes. La vie politique en serait bouleversée sinon même transformée. Mais le vieux bougon ne se fait pas d’illusions. Un mur de réprobations ne manquerait pas de s’élever devant ses propositions révolutionnaires. Pourtant, sur le toit du monde, un petit pays dont les ancêtres tutoyaient le yéti l’a fait. Un petit pays qui souffre sous l’invasion de la modernité qui détruit sa culture. Un petit pays qui souffre sous les coups de boutoir de la nature. Les touristes grimpeurs devraient dorénavant être assujettis à sa reconstruction avant de repartir dans leurs escalades.
(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)