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Oui, tout le monde n’est pas Charlie, et ça ne m’arrange toujours pas

Publié le 13 mai 2015 par Legraoully @LeGraoullyOff

04-23-Je suis un gros con

« En voyant ces braves pandores être à deux doigts de succomber, moi, je bichais car je les adore sous la forme des macchabées. » (Georges Brassens)

Mon cher Cédric, tu sais que je t’aime bien ; mais honnêtement, ton fameux article « Ouf, tout le monde n’est pas Charlie et ça m’arrange », honnêtement, même quatre mois après, je le garde un peu en travers de la gorge…

Je veux dire que je ne comprends pas pourquoi ça t’arrange que tout ne le monde ne soit pas Charlie, car si tout le monde était Charlie, alors le monde serait déjà moins con, moins moche et moins méchant ; et ne me réponds pas qu’on s’ennuierait dans un tel monde : primo, tu n’en sais rien parce que tu n’as jamais eu l’occasion de vivre dans ce monde ; secundo, quand tu passes du temps entouré de gens qui te ressemblent, tu t’ennuies, en général ? Bien sûr que non ! C’est justement avec les gens avec qui on n’a rien en commun qu’on s’ennuie le plus ! À l’heure où j’écris ces lignes, je reviens justement d’une conférence de Richard Stallman : je peux te dire qu’entouré des centaines de geeks venus écouter religieusement le pape du logiciel « libre », je me suis emmerdé à mourir !

Mais revenons à nos moutons : tout le monde n’est pas Charlie, ça veut bien dire que nous, les gens comme toi et moi, sommes cernés par les gros cons qui veulent notre mort et qui, à la première occasion, nous tondrons, nous lapiderons ou nous lyncherons. Tu trouves ça bien, toi ? Je n’ai jamais apprécié le soi-disant privilège de faire partie d’une minorité éclairée : je préférerais de loin faire partie d’une MAJORITÉ éclairée, c’est-à-dire habiter un pays où ne vivraient que des centaines de Pierre Rahbi et des Cavanna par milliers plutôt que des millions de beaufs chauvins, racistes, braillards, agressifs et égocentriques ! Si tout le monde était Charlie, Hanouna ne ferait pas d’audience, on n’aurait pas à supporter la promiscuité des supporters gueulards, Le Pen ne ferait pas 25%, Cabu et Wolinski n’auraient pas été assassinés et, surtout, il ne me serait pas arrivé la mésaventure que je vais te raconter… Ça ne te dérange pas si j’en fais aussi profiter les lecteurs du Graoully ? Non ? Parfait, merci.

Alors voilà : dimanche dernier, je participais à un vide-grenier organisé dans ma ville de vieux cons, à Guilers. Comme j’en ai l’habitude, je vendais quelques vieux bouquins d’enfance (vu le peu de bons souvenirs que m’a laissé mon enfance, je m’en débarrasse sans états d’âme) et proposais aux visiteurs mes services de caricaturiste. ; puis il se trouve que deux gendarmes, un mâle et une femelle, sont venus inspecter cette sympathique manifestation populaire pour s’assurer que les exposants n’y vendaient que des objets usagés comme le demande la loi – entre nous, il faut vraiment ne rien avoir à foutre de ses dimanches pour le passer à emmerder de pauvres couillons comme vous et moi qui donnent de leur temps, de leur argent et de leur énergie pour mettre un peu de vie dans un bled qui en a cruellement besoin ; si la maréchaussée a un tel sens des priorités, les chiffres de la délinquance ne m’étonnent plus ! Mais je m’égare…

Il se trouve donc que les braves pandores sont passés devant mon stand et m’ont dit que je n’avais pas le droit de proposer des caricatures, que je n’avais le droit qu’à vendre des objets usagés et gnagnagnignagnagna. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Je me suis écrasé, j’ai caché le présentoir qui signalait mon activité de caricaturiste : les cons sont méchants, surtout quand ils portent un uniforme, et moi, je suis lâche, je ne tenais pas à finir la journée en garde-à-vue et couvert de bleus. Il n’empêche que ça fait mal aux seins de se faire traiter comme un garagiste qui paierait des employés au noir ! En tout état de cause, le gendarme mâle aurait pu se passer de me donner des conseils en me proposant de faire des marchés et de prendre un statut d’auto-entrepreneur : de quoi je me mêle ? Est-ce que je vais lui dire comment faire pour tabasser les immigrés, moi ? Chacun son savoir-faire ! Moi, au moins, je me suis retenu de lui dire mon état d’esprit, et pourtant, je le pensais assez fort pour qu’on l’entende : « Dire que ces deux-là étaient très probablement dans le cortège du 11 janvier pour soutenir les caricaturistes ! On peut se demander si les forces de l’ordre auraient été « Charlie » en janvier dernier s’il n’y avait pas eu des poulagas abattus dans le tas : après tout, la mort de Cabu, de Wolinski, de Charb, de Tignous et d’Honoré, les flics en ont rêvé, les djihadistes l’ont fait ! »

Conclusion : tout le monde n’est pas Charlie, et à cause de ça, j’ai failli finir le dimanche entourés de gendarmes qui n’auraient pas manqué de me témoigner les marques d’affections qui leur sont coutumières quand ils tombent sur un coupable. Ça t’arrange toujours, Cédric ? Ben pas moi. Pas plus que ça ne m’arrange que, pour des raisons finalement assez similaires, des collègues croupissent en prison en Russie, au Maroc ou à Cuba. Heu, non, pardon, pas à Cuba, puisqu’il parait que les frères Castro sont devenus gentils comme par miracle ! Mais ça, c’est une autre histoire…

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