
Vouloir comprendre le monde qui nous entoure est un exercice complexe, parfois ingrat, souvent épuisant, toujours déroutant tant il est facile de basculer de l'émerveillement à l'épouvante. Tâche bien trop effrayante et démoralisante pour bon nombre de personnes qui préfèrent, consciemment ou non, sombrer dans le déni, le fatalisme neurasthénique, voire le cynisme. Il est probable que l'Humanité, par son pouvoir sans précédent d'autodestruction, entame actuellement une période décisive de son histoire ; déterminante quant à son existence même. Seule une prise de conscience collective nous permettra, non seulement d'éviter le mur dans lequel nous fonçons, mais aussi de franchir un seuil évolutif ; de sortir pour de bon de cet âge obscur dans lequel nous pataugeons actuellement. À notre échelle l'" actualité ", projection médiatique de la réalité, paraît bien sombre. Vouloir en discuter avec ses proches est un exercice périlleux tant les rôles de rabat-joie de service, de Cassandre, s'avèrent socialement pénalisants. L'éveil des consciences semble alors un souhait bien utopique.
Toutefois rien n'est perdu: il est tout à fait possible, par un travail énergique et sincère d'analyse (de soi, du monde), d'échapper aux émotions négatives qu'engendre habituellement notre confrontation au réel. De plus cette démarche, au-delà de son intérêt thérapeutique, ne se réduit pas à une simple question de curiosité, à une vulgaire lubie. L'enjeu est bien plus important qu'il n'y paraît ; ce désir sincère de compréhension étant une condition indispensable à l'élaboration de notre " liberté " et un outil nous permettant d'être acteurs de notre avenir en tant qu'espèce.
La " réalité " n'est ni bonne ni mauvaise, ni morale ni amorale, ne possède pas de " sens " transcendant et caché qu'il nous faudrait découvrir ; elle n'est qu'un flux permanent de données brutes que nous décodons/interprétons et auxquelles nous donnons sens à posteriori. À nous d'éviter fourvoiements et illusions. Pas si simple dans la pratique, car encore faudrait-il que l' information nous parvenant ne se soit pas dénaturée...
Constatons dans un premier temps que l'organisation de notre société n'incite pas au questionnement : dès l'enfance l'école, en cloisonnant le savoir, nous apprend non pas à réfléchir par nous-même mais bien à accumuler des connaissances non-discutables et déconnectées les unes des autres ; façonnant ainsi des " spécialistes " sans vision d'ensemble, incapables de recoller les différentes pièces du puzzle. La plupart des travailleurs n'ont guère de temps à consacrer au spirituel et préfèrent, le cas échéant, s'abandonner à des loisirs étrangers à la réflexion (donc encouragés par les pouvoirs en place). Les chômeurs, culpabilisés, infantilisés ; sommés, par une administration déshumanisante, de trouver un emploi ; ne peuvent penser en dehors du paradigme productiviste (je " suis " mon travail, donc si je n'ai pas de travail je ne suis rien). Les intellectuels (du moins ceux validés par le système) soucieux de préserver leurs prérogatives s'aventurent rarement en dehors des sentiers battus et les gens cultivés ne peuvent (par ignorance), ne veulent (par suffisance) ou n'osent (par peur d'être marginalisés), remettre en question cette intelligentsia. Les retraités, puits d'expérience (et autrefois de sagesse) auprès desquels les autres générations devraient puiser un savoir inestimable, sont considérés au mieux comme de simples consommateurs (tolérés parce qu'ils participent au PIB), au pire comme des bibelots encombrants, parqués s'ils sont impotents dans des maisons de retraite afin de bien les isoler de la population " active ", etc. Ainsi donc sur le terrain de la réflexion nous partons tous avec un handicap évident.
Cette organisation sociale est-elle le résultat d'un calcul, un mécanisme d'asservissement, ou simplement une fâcheuse conséquence de notre modèle occidental, un dégât collatéral ? Je laisse à d'autres le soin de développer cette question fort intéressante et me contente ici de dresser un constat sociétal. Et puis il n'est pas indispensable d'invoquer conspirations & complots pour parler de manipulation :
À différentes échelles (individuelle/collective) journalistes, politiciens, enseignants, industriels, syndicalistes, publicitaires, dignitaires religieux, intellectuels (...) proches, collègues, voisins (...) tous ont des raisons (bonnes ou mauvaises, conscientes ou inconscientes) de manipuler la réalité. Vous aussi, avouez-le, trouvez quelquefois un intérêt pratique à modeler l'information : Aussi insignifiant soit-il un simple petit mensonge est déjà une déformation de la réalité. On peut être de bonne foi et n'être coupables que d'un aveuglement passionnel ou d'un excès de bienveillance (mentir pour le bien de...), mais aussi manipuler l'information dans un but bien précis, souvent peu louable. Aux échelons supérieurs, en termes de pouvoir, nombreux sont ceux qui souhaitent vous voir abdiquer, certains s'activant même en ce sens afin que vous ne dérangiez pas leurs intérêts et ne perceviez pas les vrais enjeux. Quelques exemples de procédés utilisées pour vous égarer : Utilisation d'un jargon technique opaque réservé aux initiés (très en vogue chez les économistes), humiliation (si je ne comprends pas c'est que je n'ai pas le niveau intellectuel), culpabilisation (voir ), infantilisation, intimidation/menaces, appel aux émotions primaires plutôt qu'à l'argumentation (instrumentalisation des " faits divers "), désignation de boucs émissaires (les " RSAstes ", les musulmans, les " souchiens "[sic], les chinois, les frontistes, les Roms...) afin de canaliser colère & frustration, etc. Dans ce contexte de manipulation généralisée la compréhension du monde qui nous entoure s'apparente à un véritable parcours du combattant. Il est alors bien normal de voir tant de gens baisser les bras devant la complexité de la tâche.
Démasquer les impostures ne demande pourtant pas d'intelligence particulière ; par contre il est nécessaire de cultiver le doute, d'être curieux, vigilant et ouvert d'esprit. Rassurez-vous, ces caractéristiques ne sont pas innées, elles se travaillent.
Si vous débutez et ne savez pas par où commencer entrainez-vous, par exemple, à l' analyse de JT (ou d'articles de presse) > Ne vous intéressez pas à l'info en elle-même mais à la manière dont elle est amenée : choix des mots (sont-ils chargés négativement, positivement ? Pouvait-on utiliser un autre vocabulaire ?), choix des images (déclenchent-elles des réactions émotionnelles fortes ? Dans ce cas mes émotions orientent-elles mon point de vue ?), gestuelle, intonations, etc. Pratiquez pour vous-même, sans chercher ni à confirmer vos propres convictions, ni à convaincre qui que ce soit, ni à découvrir la " vérité " à tout prix, mais considérez cela (dans un premier temps en tout cas) comme un exercice, un équivalent intellectuel du footing quotidien. Et surtout reprenez confiance en vos capacités d'analyse car vous possédez largement assez de neurones ; ceux qui suggèrent le contraire ont intérêt à ce que vous n'y regardiez pas de trop près.
Cette confiance fraichement acquise ne suffit toutefois pas, je vous l'accorde, à effacer l'angoisse et tout claustrophobe que vous êtes vous n'échapperez pas à un peu de spéléologie...
Savoir démasquer la propagande, les mensonges, les manipulations, est appréciable, mais insuffisant. Comment en effet ne pas déprimer, noyés que nous sommes sous un flot d'informations, lesquelles sont plus effrayantes les unes que les autres : Guerres, crise économique, corruption, pollution, pandémies, famines, etc.
Suffit-il à un arachnophobe de nier l'existence des araignées pour en finir définitivement avec son angoisse ? Lui suffit-il de tuer toutes les araignées existantes au monde pour ne plus frissonner devant une photo de tarentule ? Les arachnophiles sont-ils humains ? Questions absurdes en apparence, qui portant nous révèlent une chose: ce n'est pas l' objet qui crée la phobie, mais quelque chose en nous que l'on projette à l'extérieur. L' objet n'est finalement qu'un révélateur. La réalité n'est ni bonne ni mauvaise, elle est neutre, se contente d' être, et ne prend sa charge négative/positive qu'une fois traitée par notre cerveau, tamisée par nos particularismes psychologiques (valeurs, sensibilité, expériences, culture, etc). Notre perception du monde est donc directement liée à notre vécu, à notre psychologie personnelle. Ainsi avant même de vouloir changer le monde il serait bon de jeter un œil à nos mécanismes internes (et d'éviter, de ce fait, de mettre la charrue avant les bœufs).
Notre attitude face au réel, notre désir (ou absence de désir) de comprendre, révèlent nos forces et nos faiblesses, font affleurer nos insuffisances, nos incohérences, nos peurs profondes. Le " sens " se trouve en vous-même et non à l'extérieur et vous n'échapperez pas au nécessaire travail d'introspection. Par conséquent au lieu de vous demander " pourquoi la réalité est-elle effrayante ? " posez-vous plutôt la question :
" Pourquoi ai-je peur de la réalité ? "
Nos vécus diffèrent tant les uns des autres qu'il semble douteux de vouloir généraliser. L'explication unique n'existe pas, certes, mais il est toutefois possible d'explorer quelques pistes. L'homme est vous-même de l'être), vous n'en subiriez pas moins le diktat social de l'individualisme (" je dois tout faire pour biologiquement égoïste, naturellement porté à sa propre préservation et, par extension, à celle de sa famille (préservation du patrimoine génétique). Le contexte culturel (religion, organisation de la société, philosophie, histoire, etc) peut atténuer ou exacerber cet égoïsme vital ; l' élargir (village, clan, ethnie, culture, nation) ou le rétrécir (l'individu). Et en ce qui nous concerne dire que notre société occidentale, comparée aux autres, est individualiste, n'est plus à démontrer. De cet excès d'individualisme naît une conception déformée de notre propre valeur : nous sommes uniques certes, mais bien plus que cela nous sommes exceptionnels ; et plutôt que d'être un élément quelconque parmi d'autres notre moi hypertrophié se place au centre du système, la réalité se contentant de tourner autour. Croire à un destin privilégié (pour soi, sa famille, voire son peuple), à son ange gardien ou à sa bonne étoile relève d'une forme spiritualisée d'égocentrisme ( devenir quelqu'un "). Il est possible de décréter que c'est votre destin d'être malheureux(euse), préservant ainsi, en négatif, le statut d 'être d'exception... " Moi seul suis protégé(e), moi être unique ", les catastrophes, les accidents, la mort, n'arrivant bien évidemment qu'aux autres). Quand bien même vous seriez rejeté(e), considéré (e) comme un (e) moins-que-rien (et peut-être convaincu (e)
Mais à moins de vivre dans une bulle hermétique notre vision de nous-mêmes finit toujours par heurter la réalité - accident, perte d'un proche, solitude, échecs à répétition, etc - et nous finissons tôt ou tard par en souffrir. Sur le court et moyen terme la souffrance est normale, mais sur le long terme elle révèle bien souvent une incapacité à Vous pressentez certaines Errer dans cette zone floue entre lucidité et déni ne peut qu'aboutir à une peur généralisée. Se confronter à la réalité, sincèrement, profondément, est la seule solution. Tâche difficile je vous l'accorde, car cela revient à admettre sa propre insignifiance (je ne suis plus le centre du système, mais un simple sept milliardième