J’apprends au détour d’une lecture que la maison d’Emmanuel Kant à Kaliningrad aurait été vandalisée. Par la barbe du Prophète (complétez ici avec votre prophète préféré), quel obscure déprédation les ennemis de l‘impératif catégorique ont pu infliger à l’auguste demeure de l’illustre philosophe des Lumières allemandes? Et d’abord, quel intégriste de quelle chapelle que ce soit pourrait bien en vouloir à Kant, qui est à l’irréligion ce que Sarkozy est à l’autocritique? Et pourquoi Sarkozy se livrerait à l’autocritique, ce concept stalinien et si peu républicain? Et pourquoi les gauchistes de Podemos prennent Barcelone et Madrid quand nous nous traînons Duflot et Mélanchon?
Trêve de digressions. Si tu connais déjà le forfait des « vandales » de Kaliningrad, passe à la phrase suivante; si tu n’es pas au parfum, sache que ces infâmes ennemis de la Culture et des Lettres se sont rendus coupables d’avoir brutalement tagué sur la façade du tas de briques qui abrita un jour un quidam qui a bien profité du fait que sa langue natale comporte pléthore de mots de plus de trois syllabes pour se faire passer pour un intello (vous pouvez respirer), d’avoir méchamment tagué, donc, un cœur, une fleur et l’inscription suivante qui à mon sens vaut épitaphe: « Kant est une andouille ».
J’ai lu sur divers supports qui se piquent de philosophie que cet innocent rappel d’une vérité élémentaire constituait un « attentat contre la culture », une « énième preuve de la barbarie qui gagne du terrain », et des « effets de moults années de poutinisme ». C’est un peu sévère. Pas plus tard que samedi soir, alors que je fumais une cigarette à l’entracte du concert des Mescaleros, le groupe de notre très estimé Cédric Boyon (à qui je dois une binouze, ceci soit attesté publiquement), j’ai fait remarquer à un quidam qui soulageait sa vessie sur la Porte des Allemands qu’il pissait sur presque dix siècles d’Histoire. Le quidam en question m’a fait observer qu’il n’avait uriné que sur la grille qui est de fabrication récente. M’en suis-je offusqué? Ai-je adressé une missive courroucée à Philosophie magazine, au ministère de la Culture et à l’Unesco? Que nenni: j’ai repris un Picon-bière. Alors bon.
Ceci étant posé, Kant était-il vraiment une andouille? A l’aune de ma propre échelle de valeur, un gadjo qui prône un impératif qui repose sur des critères aussi objectifs que la Bible ou que Maisons et Travaux; un gazier qui n’est jamais allé plus loin que les frontières de son patelin et qui prétend philosopher à titre universel; et un gonze qui pense qu’il est toujours immoral de mentir, même si cela peut sauver des vies, peut légitimement être qualifié d’andouille confite de moraline. Un mecton qui vit dans le monde des idées pures, que ce soit au nom de Dieu ou de la Raison, quand bien même il serait absolument inoffensif comme Kant, est une andouille.
Mais il y a pis. Tous ceux qui ont poussé les hauts cris pour dénoncer l’incurie d’une demoiselle de dix-sept ans sans lui demander si son acte était mû par une pensée sous-jacente sont des andouilles doublées de cuistres. En braillant contre un tel acte de « vandalisme », ils montrent d’une part qu’ils ne sont pas sortis de « l’état de minorité » dont Kant voulait faire sortir les Hommes à l’aide de la Raison; et d’autre part, que leur adoration pour les ruines confine au culte et que c’est bien le pire outrage qu’on puisse faire à un philosophe. Rassurez-vous, bonne gens: les autorités russes ont promis qu’elle allaient accélérer la restauration de la sainte-maison, et que Kant et son arsenal à assommer les lecteurs retrouveront leur vraie place: sous la poussière d’un musée, où viendront se prosterner tous ceusses qui n’aiment la culture que sous verre.
Autres temps, autres crétins notoires. L’ami BHL était invité par Jan Fabre, un fameux baltringue dont on a déjà parlé dans ces lignes . Le débat avait lieu dans une église car décidément ces gens goûtent les ambiances feutrées propres à la méditation sur le Grand Creux Plein de Rien qui oriente leurs existences.
C’est le moment qu’a choisi l’illustre Gloupier Noël Godin pour entarter une nouvelle fois le pompeux cornichon, pour venger Siné contre qui BHL avait témoigné lors de l’éviction de l’ancêtre de Charlie Hebdo. Je vous le demande, chers lecteurs chers lectrices, quoi de plus réjouissant que de voir un mégalomane médiatique, tout imprégné de son importance et de son statut de philosophe d’opérette, le museau déformé par la colère et par la crème fouettée? Quel meilleure leçon d’immanence que d’être un jour boursouflé de sa propre importance, sirotant du champagne millésimé aux côtés des grands de ce monde (le vrai métier de BHL) en méditant sur l’avenir de la Libye libérée par ses blanches mains, puis de se voir le lendemain idole déchue, statue déboulonnée éjectée du firmament par une modeste tartelette, dissimulé derrière un musculeux cerbère et craignant pour son brushing quand on a arpenté les champs de bataille aux quatre coins du globe?
Le plus drôle, c’est que BHL, en retournant à ses débats, invoque Baudelaire pour définir qui a le droit de débattre avec son auguste personne. Baudelaire, raciste et antisémite notoire, qui n’en avait sans doute rien à battre du droit d’ingérence et qui n’eut que peu souvent l’occasion et les moyens de se payer des chemises propres.
Le poète est comme l’albatros, ses ailes de géant l’empêchent de se mouvoir à son aise dans la plèbe. Alors que le philosophe, c’est son melon géant qui l’empêche de voir que la culture s’étend plus loin que son nombril.
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