Je peux admirer depuis ma terrasse le caléidoscope de couleurs qui éclaire les parterres de mon courtil. Le grenat profond et le jaune éclatant des iris, le framboise des œillets de poète, les généreuses déclinaisons des pivoines, la blancheur immaculée des lys et, bien sûr, les roses aux carnations si diverses. Nul doute que c’est en contemplant les massifs du jardin de l’hôtel de Roquelaure que notre ministre de l’Écologie a connu l’illumination de sa vie. Mais c’est bien sûr ! Voilà bientôt un an qu’elle et son cabinet cherchent un moyen simple et hautement valorisant pour son promoteur de bouter hors du centre des villes les véhicules les plus polluants. Certes, la locataire de la rue de Grenelle avait déjà préempté le système des couleurs pour la notation des élèves et celui de la rue de Bercy pour l’évaluation sanitaire des aliments dans les supermarchés. Mais faisant fi de tous ces dangers, la décision est prise : on fonce ! lance-t-elle à ses sherpas. Et le citoyen contribuable et conducteur à la fois de découvrir avec ravissement les délicates teintes des pastilles qu’il devra bientôt apposer sur le pare-brise de sa voiture. Son horrible Ferrari Maranello acquise à grand frais en 1996 se verra octroyée l’humiliante pastille grise. Par contre, la magnifique Dacia de sa femme de ménage sera couronnée de la flamboyante pastille verte. D’aucuns parleront de discrimination au détriment d’un honnête homme qui aura par ailleurs en son temps payé beaucoup de TVA. Les révolutionnaires verront dans cette pratique un début de retournement de tendance en faveur du peuple. Quoi qu’il en soit, l’affaire ne devrait pas donner lieu à polémique puisque l’apposition de cette décoration ne sera pas obligatoire. Bien que, en cas de pic de pollution, les véhicules n’arborant aucune pastille seront considérés comme les plus pollueurs et donc taxés par procès-verbal au plus fort tarif en vigueur. Qu’adviendra-t-il au brave campagnard qui, n’étant pas exposé aux excès de CO2 ni aux concentrations d’ozone, ignore tout ou presque de la pollution citadine et n’a donc pas ajouté la redoutable pastille à celle fournie par son assureur ? Il sera considéré comme un délinquant et sanctionné comme il se doit. Mais ce serait faire preuve de mauvaise foi que de s’élever contre une mesure trouvant si bucoliquement son origine au cœur même de la nature. Cependant, imaginons qu’enhardie par l’action volontariste de ses consœurs de l’Écologie Durable et de l’Éducation Nationale, notre bonne ministre de la Santé et des Affaires Sociales envisage à son tour une classification des âges à partir de pastilles de couleur ! Les sémillants nonagénaires auront l’air de quoi avec une pastille grise sur le front ? Où les jeunes sexagénaires qui attendent la retraite avec impatience devront-ils coller leur pastille bordeaux pour ne pas être taxés d’incitation à l’alcoolisme ? Les quinquagénaires qui souhaitent afficher tout au plus quarante printemps devront-elle adapter leur rouge à lèvre à la nuance de la pastille du niveau quatre ? Seul point positif, le bleu électrique s’accorde très bien avec l’azur des yeux de ma petite voisine Anaïs. On voit par-là l’étendue innombrable des champs du possible et qu’il convient de ne point s’engager à la légère sur les sentiers escarpés du futur.
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