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Les villes à la ville.

Publié le 09 juin 2015 par Rolandbosquet

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      Je viens de le vérifier sur les parois de la copie de la grotte Chauvet : l’homme de Cro-Magnon vivait essentiellement à la campagne. Sans doute y trouvait-il couramment, bien qu’il ne les évoque pas, les cinq fruits et légumes règlementaires. Il y trouvait en tout état de cause, si l’on en croit les illustrations qu’il en a laissées, les poissons, aurochs, bisons et autres mammouths si riches en oméga3 et en protéines indispensables à une alimentation équilibrée. Jouissant ainsi d’une excellente santé, il put aisément se reproduire jusqu’à se retrouver un jour au cœur de véritables tribus aux familles de plus en plus nombreuses et de plus en plus recomposées. Les abris disponibles répondant au confort exigé venant à manquer, les nouveaux couples durent descendre vers les plaines. N’y trouvant pas leurs habituels gîtes naturels, ils bâtirent leurs propres cabanes à l’aide de branchages trouvés sur place. Alléchés par cet apport de viande fraîche, les ours, lions et autres loups qui hantent les plaines depuis toujours accoururent. Craignant pour leur vie et celle de leurs petits, les migrants édifièrent en toute hâte des clôtures de baliveaux puis de hautes palissades de troncs d’arbres. Se sentant alors en sécurité, ils continuèrent joyeusement à se reproduire. Au point que les campements des débuts devinrent rapidement de véritables villages avec leurs échoppes de parfums et bibelots, leurs boutiques de peaux de bêtes prêtes à porter et leur marché de producteurs bios. Comme il fallait bien nourrir tout le monde, une concurrence acharnée s’établit bientôt entre localités pour le contrôle d’une source, d’une forêt giboyeuse ou d’une terre fertile. On construisit alors en pierre et sur des éperons rocheux pour rendre l’accès plus difficile aux adversaires comme à Aginnum, au confluent de deux rivières pour rendre l’accès plus facile aux marchands comme à Lugdunum ou au milieu des champs de blé pour assurer un ravitaillement plus régulier en galettes des rois, pains bis et baguettes ordinaires comme à Autricum. Or, ces bourgades devenues rapidement de véritables villes étaient souvent si éloignées les unes des autres que le commerce en plein essor risquait d’en pâtir. Afin de faciliter la circulation des biens et des personnes, on fit tout simplement couler les fleuves d’une ville à l’autre. Une barque, une gabarre, un bateau à faible tirant d’eau permirent ainsi de transporter aisément le vin pétillant de la Champagne jusqu’aux entrepôts de Bercy, le blé de la Beauce jusqu’aux moulins de Vendée ou les lentilles du Puy jusqu’aux traboules de Lyon. Une ère nouvelle s’instaurait. Elle donnera naissance quelques siècles plus tard aux autoroutes et aux trains à grande vitesse. En effet, la population ne cessant toujours pas d’augmenter en dépit des épidémies endémiques de peste et de choléra ou des interminables guerres de cent ans, les villes s’agrandirent démesurément. Au point que, de nos jours, on n’en construit plus du tout à la campagne où elles prendraient beaucoup trop de place. On construit à présent les villes à la ville. Ce qui se révèle, en définitive, bien plus rationnel. Le sable y arrive par péniches des gravières voisines, le mortier par camions des cimenteries locales, le bois par train spécial depuis le nord de la Finlande et les meubles en kit des ateliers Ikea. Et le citadin peut enfin quitter définitivement la campagne où s’épanouissent, désormais en paix, de bucoliques courtils aux pelouses soigneusement tondues et aux parterres richement fleuris. Rien ne peut en effet ralentir la marche du monde sur les chemins de son futur. (Photo : villa Arnaga d’Edmond Rostand à Cambo les Bains)

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