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Quentin Mouron dans la cible

Publié le 10 juin 2015 par Jlk

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À propos de Trois goutte de sang et un nuage de coke, faux vrai thriller socio-policier à double fond poético-philosophique.

Le quatrième livre de Quentin Mouron a l’air d’un roman américain, plus précisément d’un thriller comme il en pullule, plus exactement encore d’un roman noir à résonances littéraires : le Crime et châtiment le Dostoïevski est d’emble cité en exergue, et l’on pense évidemment, en le lisant, à Non, ce pays n’es pas pour le vieil homme de Cormac McCarthy, ne serait-ce que par l’un de ses deux protagonistes, shérif, se nomme Paul McCarthy… De même l’autre protagoniste, le détective cocaïnomane prénommé Franck, peut-il rappeler divers personnages ambivalents voire pervers du genre, par exemple des films d’un Abel Ferrara. 

Cependant oublions un instant ces références ( et il y en aura bien d’autres) pour souligner le fait que, d’abord et avant tout, Trois gouttes de sang et un nuage de coke est un roman de Quentin Mouron, et sûrement le plus abouti à ce jour. 

À savoir qu’il est illico marqué par la papatte de Quentin, découlant d’un regard acéré sur le monde et les gens, reconnaissable à une écriture à la fois percutante et ciselée. En outre,comme dans ses trois premiers livres, Quentin Mouron aborde de grand thèmes qui lui tiennent à cœur, à savoir :la dégradation de la société et l’atomisation des individus, la solitude qui en découle et la perte du sens fondant une vie, notamment. 

De la génération suivant celle de Michel Houellebecq, le jeune auteur (né en 1989) pratique en outre une manière de narration-réflexion lestée de traits critiques voire polémiques, comme dans La Combustion humaine,  qui rappelle à la fois les nouvelles d’un Ballard ou les romans, justement, de Michel Houellebecq. Comme devant, l'on relèvera, ici et là, quelque trait sentencieux frisant la dissertation ou le pédantisme. Péché de youngster, dont il se moque d'ailleurs lui-même...

Dès la première road-story de Quentin Mouron, intitulée Au point d’effusion des égouts (ce titre faisant allusion à Antonin Artaud), l’évocation d’une traversée panique des States exhalait déjà le mélange de tristesse et de rage d’un très jeune homme aussi poreux que teigneux, dans un récit à l’écriture déjà bien affirmée par ses rythmes et ses sonorités, ses images et ses formules frappées comme des médailles, dans la postérité de Céline. 

Or on retrouve le regard du jeune routard « cadrant » l’église de Trona, symbole de spiritualité déglinguée, dansl’évocation d’une autre église-bunker, transformée en locatif, ou dans les banlieues sinistres ou socialement sinistrées des alentours de Boston. De même retrouve-t-on l’humanité ordinaire, souvent morne ou déclassées, desdites interzones suburbaines, dans ce nouveau roman qui accentue leur aspect mortifère.

Dans la filiation de Notre-Dame-de-la Merci,premier vrai roman de Quentin, Trois gouttes de sang et un nuage de coke  développe et approfondit la composante« tchékhovienne » de son observation, où la tendresse empathique (côté Paul Mc Carthy surtout) le dispute à une vision plus acide de la société des simulacres et des masques, sur fond de décadence sociale et culturelle, évidemment liée à la désastreuse vision du monde du néolibéralisme diluant.

Comme dans son roman canadien,l’auteur campe ici des personnages d’une réelle épaisseur humaine, dégagés de tout manichéisme moralisant mais illustrant bel et bien, de façon diverse, une aspiration à certaine pureté.

Celle-ci est explicitement revendiquée par Franck le dandy, lecteur du Sâr Péladan (cet extravagant contempteur de la décadence fin de siècle, auteur visionnaire de livres lumineusement illuminés) et patron d’une agence privée, qui rêve de quelque crime gratuit relevant des beaux-arts, en lequel l’auteur, non sans ironie parodique, campe une sorte de meneur de jeu provocateur, qui se sert du grotesque pour mieux renvoyer moralisme et hypocrisie dos à dos. La scène finale, très théâtrale, marquant la confrontation du brave shérif supposé blanc comme neige et  du « privé » jouant les pervers, oscille entre les grimaces de Dürrenmatt et de James Ensor...

Or on se gardera de chercher, dans Trois gouttes de sang et un nuage de coke, la conclusion trop rassurante d’un polar conventionnel, ni non plus l’arrière-plan « théologique » d’un Cormac McCarthy.

Néanmoins, jouant parfaitement lejeu du thriller socio-criminel, ce roman bref et dense, au scénario bien filé et très intéressant par ses observations et ses digressions, impose une fois deplus, et de façon plus ample et pénétrante que précédemment, l’intelligence d’un regard incluant les désarrois et les dégoûts d’une époque, non sans ménager des clairières d’immunité propices aux sentiments tendres et à la pensée vivace...

Quentin Mouron, Trois gouttes de sang et un nuage de coke. La Grande Ourse, 211p.


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