Avant que ne commencent les trente années de travail qui feront de mon courtil une annexe du regretté jardin d’Éden, (photos ), il n’y avait guère qu’un ancien champ abandonné à la friche depuis plusieurs décennies au moins et situé en bordure d’autres champs tout au bout d’un chemin encombré de ronces et de broussailles. Le terrain entrant cependant dans le périmètre du site protégé des Monts, il fallut, avant tout premier coup de pioche, consulter l’architecte des Bâtiments de France. Et celui-ci d’imposer le taux d’inclinaison du toit de la maison, les dimensions des ouvertures, des volets en bois couleur bois et celle des murs la plus proche du torchis. Comme autrefois. Il convenait en effet de ressembler au bâtit traditionnel local. Si, depuis Cro-Magnon, les bâtisseurs avaient construit selon les mêmes principes, nos habitations ne répondraient guère aujourd’hui à nos exigences en matière de confort. Nul doute, en tout état de cause, que l’accrochage d’une antenne parabolique au-dessus de l’entrée de l’abri serait interdit. C’est ainsi qu’un intégrisme obtus peut atteindre les sommets de la bêtise. D’autant plus que c’est faire fi des apports innovants des populations successives de migrants qui ne construisaient pas obligatoirement comme les autochtones, faire fi de l’Histoire qui voyait les murs des habitations citadines badigeonnés de couleurs vives en signe extérieur d’opulence, faire fi de l’aspiration de chacun à montrer son originalité sinon même sa créativité. La Révolution Française a déclaré les citoyens égaux en droits. Elle n’a jamais prescrit l’uniformité des habitations de Zuydcoote à Hendaye et de Lauterbourg à Ouessant. Il est vrai malgré tout que la tradition campagnarde est d’une essence différente de celle des villes. Ainsi, quelle que soit la région que vous traversez, les paysages qui défilent de chaque côté de votre train observent tous une constante intangible. L’herbe des champs est verte, les feuilles des haies qui jalonnent la voie sont vertes, celles des bouleaux, des hêtres et des peupliers qui se perdent dans le lointain sont vertes. La nature aime à conserver ses habitudes. Tout au plus consent-elle à teinter les pelouses de jaune sous le soleil de juillet et les feuillages de roux à l’approche de l’automne. Mais cette dérogation se répète régulièrement chaque année pour bien confirmer la règle. (Sauf pour les juillets pluvieux, bien entendu, qui sont dus, eux, aux aléas météorologiques.) D’aucuns affirment que le réchauffement climatique renforcera le phénomène de jaunissement qui s’étendra alors de Pâques à la Toussaint. Face à ce danger, une nouvelle technique a été élaborée en Californie où elle rencontre de plus en plus d’adeptes. La Californie est régulièrement affligée d’une sècheresse maligne qui tend à farder de jaune les gazons les plus verts. Ce qui se révèle particulièrement fâcheux lorsque vous recevez des invités aussi prestigieux que Georges Clooney et Jean Dujardin autour d’un café gourmand. Quelques jours avant leur venue, la maîtresse de maison soucieuse de la qualité de son accueil alerte son homme de main (puisqu’on ne peut plus parler de factotum) qui accourt derechef avec, dans son Pick-Up Toyota, un bidon de teinture aux pigments naturels dont il arrose le gazon pâlichon. Qui retrouve presque instantanément sa verdure traditionnelle, sauvegardant ainsi et à moindre coût l’honneur des hôtes de nos célébrités. Il est craindre cependant qu’un jour ou l’autre quelque excentrique venu de la ville et ignorant des spécificités rurales teindra sa pelouse en rose bonbon, en rouge framboise ou même en bleu de Prusse. Pour faire tendance. Car le monde avance toujours d’un pas décidé sur les chemins de son futur.
(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)