Un divan dans ma cellule
-On a du chagrin, mon poulet. Pleure, cela te soulagera.
-Foutez-moi…la…paix.
-Raconte, raconte, à Lucie ta petite enfance.
-A partir de quand ?
-Entre zéro et huit ans.
-Euh…Je suis fils unique. Ma mère a toujours été possessive avec moi, presque tyrannique ; elle m’étouffait.
-Oh! pas si vite. Dis-moi d’abord ton nom.
-Clément Thine
-Bon, continue bonhomme. Alors ta mère t’étouffait et…-Non « à » ; à tel point qu’un jour, j’ai fugué. J’avais un an, j’ai sauté de mon parc et je me suis réfugié dans les toilettes.
-Où habites-tu ?
-Rue de l’Ermitage, dans le 20 ème arrondissement de Paris.
-Dis-moi, Clément, ta mère t’enfermait-elle quand tu étais petit ? T’empêchait-elle de sortir pour te punir ?
-Oui, souvent ; elle verrouillait la porte de ma chambre lorsque je ne rapportais pas de bonnes notes de l’école. Il fallait avoir tout le temps dix sur dix.
-Un instant, je récapitule : alors mère castratrice ayant un fort complexe d’infériorité, d’où désir violent que son fils se surpasse ; fils fait ce qu’il peut mais demeure frustré. Et ton père ? Parle-moi de ton père.
-Il est mort.
-Toutes mes condoléances. En quelles circonstances ?
-Lors d’un saut en parachute ; il a confondu le fil blanc avec le fil rouge, avec le fil jaune.
-Lequel fallait-il tirer ?
-Aucun ; c’était la courroie bleue.
-Ah…la courroie bleue.
Je toussote.
-Comment as-tu vécu ce décès ?
-Mal, même si on a retrouvé les restes de papa ; certaines fois lors des exercices militaires, on ne retrouve pas les corps mais nous, on nous a remis une urne et la médaille de la bravoure.
-Eh ben…enfin c’est mieux qu’une médaille en chocolat.
Je me gratte le front, pince les lèvres.
-Pourquoi es-tu devenu policier, enfin gardien de cellule; c’est bien toi, qui est chargé de surveiller les prisonniers du commissariat ? Tu m’as l’air si jeune…
-Où est le rapport ?
-Dans ma tête, ne t’inquiète pas. Alors quelle volonté subite a fait de toi, un splendide geôlier ?
-Quand les détenus sont enfermés, je me sens plus fort ; cela me délivre de mes angoisses; j’ai l’impression de vaincre ma mère ; je ne suis plus enfermé.
-Je vois transfert identité, conflit intérieur non résolu, moi hypertrophié ; motif du délit cérébral : crise sado-dépressive.
-C’est grave ?
-Oui, tu n’as pas résolu tes problèmes avec ta mère ; mais si tu m’ouvres la porte de la cellule, on peut s’arranger. Il existe à Paris, des psychologues très compétents.
-Mais je n’ai pas le droit de vous ouvrir ! Mes supérieurs me déshonoreraient s’ils le savaient et je perdrais mon emploi.
L’ amer hic !
-Un emploi, dans lequel visiblement tu t’épanouis. Et avec la crise économique actuelle, le chaos social qui se profile, cela ne va qu’empirer.
Sais-tu qu ‘il y a de plus en plus de suicides chez les policiers ? Trop de stress, manque de moyens, d’effectifs ; la preuve : deux de tes collègues sont en arrêt maladie. Ouvre les yeux, Clément (le gauche aussi, voilà)! Tes supérieurs te manipulent, tu n’es qu’un pion du système. A la moindre faute professionnelle, au moindre pétage de plomb : « Au revoir, Monsieur Thine, vous nous fûtes très utile, merci. Non, non, pas de révérence ; allez dégager ! »
-Comment vais-je m’en sortir ?
-Sur la pointe des pieds. Tu es intelligent, consciencieux. Trouve-toi un autre travail, même si c’est difficile avec le chômage actuel.
Je lève les yeux , fixe les barreaux de la cellule.
-Deviens djihadiste ! On recrute en ce moment pour le moyen-Orient, partout, dans le monde entier, même en France ! Le moyen Orient, c’est un peu comme la nouvelle Amérique. Des emplois, du rêve. Djihadiste, c’est une expérience à tenter ; tu vas t’éclater, voir du pays, apprendre une nouvelle langue, l’arabe; parler avec des bâtons de dynamite barbus.-Le jeune homme fronce les sourcils, méfiant.
-C’est pas dangereux ?
-Pas du tout, c’est moins dangereux qu’un policier en plein exercice; et tu sais pourquoi ? Parce que les djihadistes sont sponsorisés par Allah.
-C’est quoi Allah ? Une marque de soda ?
-Tu ne connais pas la nouvelle boisson « Pschit Allah Menthe » ; les djihadistes en boivent tout le temps ; ça remplace le coca-cola, si tu veux…C’est sponsorisé par Allah ; une boisson énergétique du tonnerre.
Ta mère, sera fière de toi quand elle verra son fiston à l’oeuvre; son cœur fera BOUM ! Le tien aussi !
Allez ! Ouvre-moi la porte de la cellule; tu vois bien que j’ai raison…
Et voilà, chers lecteurs, comment j’ai réussi à sortir du commissariat, la tête haute, avec mes escargots, en racontant des histoires.
Maintenant je suis LIBRE !!!