Poursuivons l’étude du personnage de Miléna, protagoniste du roman.
Miléna usée par la vie
La frontière entre un passé tortueux et la folie
Dans la première étude littéraire, j’écrivais ceci, au sujet des hallucinations de Miléna, celle des écrevisses : « Il est important de noter pour la suite du commentaire, que les écrevisses se nourrissent de matière organique qu’elles prennent des sédiments », ajoutant ensuite cette citation:
Les écrevisses ont attaqué toute la nuit. Leurs pinces griffaient ma peau et leurs gros yeux noirs fouillaient mon cerveau. p 3
Le passé de la jeune femme est lourd, douloureux; elle l’évoque par petites touches et c’est une femme rompue, brisée par la vie, que l’on découvre, avant même d’être internée en hôpital psychiatrique. Une femme faite de sédiments d’un moi détruit. La relation entre les termes écrevisses et sédiments est évidente.
Le champs lexical des sédiments :

La phrase suivant est éloquente : Terrifiée, je m’enfuyais, retournais au fond de mon coquillage. Et les jours s’entassaient, s’accumulaient d’eux-mêmes tels des sédiments (…) l’évanouissement. p 5 , ainsi que la répétition du nom coquillage.
On voit bien que la frontière entre le monde réel, (son inaptitude à s’intégrer dans la société), et la folie est très mince, car Miléna est comme incrustée dans son passé.
Pourtant il y a une force en elle, une volonté de vivre immenses.
On verra dans le chapitre 2 , que Miléna oubliera non sans souffrances, cette partie de sa vie : Subitement ma raison s’effondre et toutes les couches de mon être, toutes les strates (…) s’écroulent méthodiquement, par paliers, charriant avec elles coquilles et roches auxquelles je m’incrustais.
Miléna ? Une mosaique

Après l’évocation de son passé, on voit que Miléna est une femme cassée au sens premier du terme, qui a perdu tout repère, toute dignité.
Champs lexical des débris
J’ai le droit (…) de devenir comme toutes ces pensionnaires (…) qui s’étonnent parfois de trouver sur le sol, un morceau d’elles-mêmes. p 8
Mais comment vivre aujourd’hui avec des miettes d’identité ? p 10
Pourtant Miléna tentera de se reconstruire, jour après jour, malgré les calmants que les médecins lui forcent à avaler et qui l’abrutissent.
Un être à la dérive
Déboussolée, Miléna végète ainsi dans sa cellule.
Je suis retournée sur ma banquise et ai dérivé jusqu’à l’aube p 9
Dans La Frontière, le thème de l’eau est très présent, qu’il soit sous forme de glace ou de torrent.
Champs lexical de l’eau
Notons les termes fleuve et torrent.
Le temps tangue et chavire. Soudain la pièce se met à bouger –du plancher s’échappent d’odieux craquements- puis avec fracas elle s’éloigne, descend le fleuve de ma mémoire p 11
Mon corps entier se craquèle : mes vertèbres se disloquent une à une, mes os s’éparpillent et s’enfoncent dans le torrent de mes nuits. p 5
Hagarde, confrontée à elle-même, Miléna survit grâce à quelques souvenirs heureux d’enfance.
J’ai insisté sur la déchéance de Miléna, son passé traumatique puis son internement, pour montrer l’évolution psychologique du personnage, au sein d’un lieu dangereux : l’hôpital psychiatrique.