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Patrimoine du passé.

Publié le 22 septembre 2015 par Rolandbosquet

Terdeghem

     Visite au Grand Louis dans sa ferme des Trois Chênes.  Depuis plusieurs semaines, il ne voyage plus guère que du fauteuil au lit. « Ma dernière virée approche », répète-t-il à ses visiteurs. J’admire, nous admirons, la sérénité qui éclaire son visage creusé des profondes rides de la vie mais un visage malgré tout fatigué et bien amaigri. « Il y a un mois, la moitié de ma grange s’écroulait. Dans peu, ce sera mon tour. Tout s’écroule ! » Et un petit rire espiègle secoue ses épaules. « Faut pas dire ça, Papa ! » murmure le Petit Louis, son fils. Mais notre vieil ami balaie d’un geste de la main l’intervention de son fils. « Cette fois, le maire, il aura rien ! » Voilà en effet presque une décennie que le maire tente en vain de lui acheter le lopin de terre sis à la sortie du bourg où s’élève cette fameuse grange. « Il voudrait en faire un musée. Vous vous rendez compte ? Un musée pour montrer comment on vivait autrefois. Il ferait mieux de s’occuper des gens d’aujourd’hui ! » C’était sans doute ce que pensait et pense toujours le propriétaire du "château" de Terdeghem dans le département du Nord. La vieille bâtisse mesurait 15 mètres de hauteur pour 40 mètres de long et représentait l’un des derniers témoignages des seigneuries, petits châteaux, manoirs et autres maisons de maîtres construites aux 16ème et 17ème siècles dans les Flandres françaises. Dans les milieux culturels, on qualifie ces édifices de patrimoine. On s’extasie. On s’indigne du fait que les propriétaires n’effectuent pas les travaux nécessaires à leur survie. Puis on s’en retourne benoîtement dans ses pénates. Mais qui s’inquiète des dépenses parfois pharaoniques que ces travaux exigent ? En l’occurrence, le propriétaire puis son fils auraient effectué mais en vain de nombreuses démarches depuis plus de 30 ans pour faire classer ce qui, au fils des années, devenait peu à peu une ruine. La partie la plus ancienne s’est d’ailleurs effondrée, dans une molle indifférence, il y a quelques années. Mais la rumeur crie aujourd’hui au scandale parce que le fils, né dans l’une des chambres du château il y a 60 ans, c’est résolu, la mort dans l’âme, à poursuivre le travail de la nature. On peut certes estimer qu’il est fort dommage que la sauvegarde de ce "patrimoine" n’ait pu être réalisée. Surtout pour les sans-logis, sans domiciles fixe et autres immigrants vivants d’expédients et dormant, été comme hiver, dans des abris de fortune. Mais peut-être le maire de la commune et son conseil municipal ont-ils préféré, précisément, utiliser les impôts de leurs administrés pour aider les plus pauvres et les plus fragiles plutôt que de les engloutir dans la préservation d’un symbole du passé. Certes, il est bon et même indispensable de connaître le passé afin de mieux appréhender l’avenir. La destruction par les sauvages de Daech des temples de Palmyre est une perte réelle pour l’humanité. Mais le premier crime contre l’humanité reste encore l’inaction des nations face aux drames humains provoqués par ces fous furieux. Jusqu’à quel point notre vénération des vieilles pierres, qui tend presque au fétichisme comme l’explique si bien Tobie Nathan, n’est pas une manière d’échapper précisément aux difficultés du présent et de masquer la peur de l’avenir ? Si l’on racontait cette histoire au Grand Louis, nul doute qu’il rigolerait un bon coup. Son fils entrera dans quelques mois en retraite de paysan et chacun sait qu’il n’aura pas les deniers suffisants pour réparer la fameuse grange. Son avenir prendra un autre chemin qui ne le conduira pas vers les temps d’hier. Et ceux du futur sont si imprévisibles qu’ils nous laissent encore bien des choses à penser.

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