On peut vivre dans un courtil blotti au fond de sa vallée perdue au cœur des Monts, sarcler paisiblement son petit coin de potager et commencer à ramasser les feuilles mortes qui jonchent la pelouse et néanmoins travailler d’arrache-pied en écoutant Mozart à la rédaction d’une communication savante à l’Académie. On savait déjà qu’avec l’arrivée de l’automne et les premières fraîcheurs, les loirs aiment à s’introduire dans les greniers pour y installer leurs quartiers d’hiver. Ils consacrent généralement leurs journées à dormir, bien enroulés dans leur fourrure et à l’abri des courants d’air. Ils se réveillent le soir venu et attendent que vous soyez vous-même couché et endormi pour se lancer, au-dessus de votre tête, dans une partie endiablée de balle au prisonnier avec un gland, une noisette ou une simple faîne. Ils courent et sautent sur le plancher dans un boucan du diable digne d’un orage d’été et vous réveillent immanquablement alors que vous rêvez que votre dernier ouvrage vient d’obtenir le prix du livre du Terroir au salon littéraire de Saint Martin la Bédoule. Incorrigibles curieux, ils explorent en grand ramage le moindre recoin de leur domaine. Une bouche d’aération représente pour eux une irrésistible invitation à se glisser à l’intérieur des murs. Après avoir semé une jolie pagaille dans vos bibelots, ils s’endorment généralement au petit matin et vous pouvez les cueillir benoitement endormis sur votre canapé ou entre un disque de concertos de Schumann et un disque de sonates pour piano de Rachmaninov. Ils peuvent aussi profiter d’un instant d’inattention de votre part pour se glisser dans la petite pièce attenante à la cuisine où vous entreposez vos réserves. Et c’est ainsi que vous constatez scientifiquement que le loir préfère et de loin la compote de pomme au chocolat noir. Après son départ, un état des lieux exhaustif demandera du temps et vous vous direz que vous auriez dû penser à fermer la porte. Certes, si vos reflexes avaient fonctionné normalement, vous n’auriez pas fait cette formidable découverte qui révolutionnera sans aucun doute les connaissances en général et celles de la vie du loir en particulier. Mais vous regrettez malgré tout en découvrant les paquets de lentilles du Puy, de farine de froment ou de riz de Camargue complètement déchiquetés. Comme souvent en pareil cas, ce n’est souvent qu’après que l’on sait ce que l’on aurait dû faire avant. Mais bien plus souvent encore hélas, on savait ce qu’il fallait faire mais par paresse, négligence ou appât du gain, on n’a rien fait. Ainsi des terribles inondations qui viennent d’endeuiller la Côte d’Azur. On savait les orages inéluctables en cette saison à cause de la température de l’eau de la Méditerranée. On savait que la configuration des lieux oblige l’eau qui dévale du ciel et des collines environnantes à traverser les villes et les zones industrielles avant de gagner la mer. On savait qu’à cause du bétonnage et du bitumage des sols, elle ne pourrait pas s’y infiltrer et qu’elle envahirait les rues, les maisons, les magasins, les entrepôts, les usines et les ateliers. On savait mais on n’a rien fait sinon continuer à bétonner et à bitumer. Combien faudra-t-il de morts, de vies traumatisées et de millions d’euros de dommages avant que l’on ne se décide à prendre en compte les exigences de la nature ? Les chemins du futur étant imprévisibles, peut-être ce jour viendra-t-il enfin ? La situation présente nous laisse, en tout état de cause, bien des choses à penser.
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