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Visite rituelle.

Publié le 03 novembre 2015 par Rolandbosquet

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         Visite rituelle en terre normande pour saluer les anciens et leur confirmer que leur souvenir est toujours honoré comme il se doit. Au moins tant que la mémoire des vivants ne s’est pas égarée dans les labyrinthes de l’oubli. C’est aussi l’heure des retrouvailles avec les lieux de l’enfance. L’ancienne ferme familiale avec son étable, son jardin potager, ses haies et ses pommiers, aujourd’hui transformée en résidence secondaire pour Parisiens en mal de verdure. La route qui la relie au village en serpentant entre les champs de betteraves, de blé d’hiver et de luzerne et qui semblait interminable lorsqu’il fallait, chaque matin et chaque soir, l’arpenter à pied. Le chemin qui s’enfonce entre les clos et se perd dans le bois où sommeille désormais le château déserté par les jeunes générations rebutées par le manque de confort. Le sentier qui longe le cimetière, descend jusqu’au ruisseau où dansaient jadis, au printemps, des colonies de têtards et qui débouche, hélas, juste devant l’école de garçons transformée en mairie. Le muret de pierres sèches que l’on escaladait en cachette pour piller, telle une volée de moineaux, le cerisier du curé qui faisait semblant de ne rien voir. Et la boucherie qui n’a pas changé d’affectation depuis presque un siècle. L’office notarial émigré au chef-lieu d’arrondissement en abandonnant des locaux vides derrière lui. La boulangerie où la monnaie du pain se transformait en caramels. Le bureau de tabac-journaux où le père achetait chaque mois son billet rarement gagnant des "gueules cassées" de la Loterie Nationale. L’atelier du bourrelier d’où s’échappaient d’âcres odeurs de cuir, de colle et de mauvais vin. Et le salon de coiffure pour hommes, le garage spécialisé dans les Juva4, la mercerie, le bazar "au chic parisien"… C’est aussi l’occasion de retrouvailles au dernier café encore en activité avec des conscrits aux cheveux devenus rares et blanchis sous le harnais. Tel qui figurait toujours en bas de classement a fait une brillante carrière dans les assurances. Tel qui s’enorgueillissait d’être le fils du maire et futur héritier de Quincaillerie Générale a fait de rutilantes études et manouvrier dans le bâtiment. Telle qui était surnommée la Sauterelle à cause de ses jambes en allumettes a fait profession dans la réclame avant que d’épouser un obscur député et de monter à la Capitale. Tous revenus "prendre retraite" au Pays. Huitres chaudes au pommeau, escalope à la crème, faisan aux pommes granny et crème fraîche, trou normand, gigot d’agneau de pré salé avec ses flageolets, pont l’évêque, camembert et cidre bouché, tarte normande et teurgoule, café et petit verre de calva. Pour faire passer. Mais tombe déjà la brune. Les vieux galopins s’en vont soigner leurs rhumatismes aux quatre coins. Est-ce bien raisonnable de prendre la voiture pour aller assister au récital de Thierry Escaich sur l’un des derniers orgues Parisot encore en service en France ? Vous trouvez hospitalité chez une cousine que vous n’avez pas revue depuis 20 ans. Son fermier d’époux était encore fringant. Ventru, rougeau et bedonnant, il somnole aujourd’hui dans son fauteuil devant la télévision et la cheminée éteinte. Qu’à cela ne tienne, un escadron d’enfants et de petits enfants accourt pour préparer un repas qui se veut frugal pendant que Mamie explore les albums de photographies d’antan. Là, derrière la mariée, c’est l’oncle Lucien ou l’oncle Édouard ? Mais non, c’est l’oncle Marcel avec son nœud papillon ! Et ton Paul, qu’est-il devenu ? Rires sous cape. Tu te souviens quand vous vous étiez gavés de fraises dans le jardin du menuisier et que sa mère vous pourchassait avec son balai de noisetier ? C’est qui, demande la plus jeune et déjà bien dévergondée des petites pestes qui vibrionnent autour de vous en désignant deux sages premiers communiants, l’une en robe et voile de dentelle blanches et l’autre en costume d’adulte et brassard ? Rires aux éclats. Puis la maison se vide. Le fermier à la retraite est envoyé au lit. Vous évoquez devant un dernier café-calva quelques souvenirs d’autrefois. Ah qu’elle est douce, la nostalgie ! Elle apaise les chagrins, minimise les douleurs, éclaire les jours heureux et baigne le passé d’une brume réconfortante. Aller ! Demain, il faudra reprendre la route et ses détours imprévisibles. Et vous vous glissez sous l’édredon de plume avec bien des choses à penser. Pour hier et pour demain.  

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