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Améliorer l'avenir

Publié le 08 janvier 2016 par Rolandbosquet

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       Rencontré, il y a quelques semaines, mon futur voisin de l’autre côté du chemin. C’est l’heure de la pause pour les ouvriers qui construisent sa future maison. Benoîtement assis sur des parpaings, les quatre hommes mordent à pleine dents dans leur quignon de pain. Une fine brise de traverse languit sur le chantier, mêlant de volatiles fragrances de cochonnailles et de camembert aux odeurs d’humus échappées des bois alentours et aux relents d’essence émanant de la bétonnière. Je m’apprête à les rejoindre pour le rituel échange de salutations lorsque, sortant de l’ombre, un homme d’une trentaine d’années s’avance vers nous. « Ah, cher ami, c’est gentil à vous d’être venu ». Il avait glissé dans ma boite aux lettres, griffonné à la hâte sur une carte de visite, un message sibyllin me priant de le rejoindre. Nous nous écartons de quelques pas. « J’espère que tout ce bruit ne vous importune pas trop ! » Il fait allusion à la bétonnière qui vient de redémarrer, déclenchant une envolée de merles et de geais dont il est facile d’imaginer l’apostrophe qu’ils adressent autour d’eux de leurs cris stridents et nasillards. « Vos travaux avancent », dis-je, déterminé à demeurer poli voire peut-être même aimable. Ne sommes-nous pas appelés à nous côtoyer régulièrement ? Il se retourne vers le chantier et laisse échapper un long soupir désabusé. « Lentement, dit-il. Lentement ! Il paraît qu’il faut laisser du temps au béton de la semelle pour sécher correctement. » Loin au-dessus de nous un avion tisse son fil de laine blanche en silence. « Vous prévoyez d’emménager à l’été ! » Il hausse les épaules, repousse avec impatience une pierre égarée du bout de sa botte crottée jusqu’aux genoux et dodeline de la tête. « Comment prévoir ? » À la fin de l’été dernier, des engins de terrassement avaient enlevé la mince couche de terre arable qui dessine à présent un talus boueux et chaotique de chaque côté du passage ainsi dégagé et une noria de camions l’avait remplacée par des tombereaux de graviers tout-venant. Nous trébuchons presque à chaque pas. Il grogne et étouffe un juron aussi souvent. « Au moins, remarque-t-il en levant les yeux vers le lampadaire planté en bordure du chemin, il y a l’éclairage public ! » Et il se campe au milieu de la bande d’herbe épargnée par les tracteurs et les voitures de mes jeunes voisins, Mathieu, Juliette et leur fille Anaïs. « Mais ce chemin à peine carrossable, ajoute-t-il, ça ne va pas ! » Les lourds véhicules de chantier qui sont intervenus pour débarrasser son terrain, creuser les tranchées et livrer leurs matériaux ont en effet dessiné deux belles ornières remplies aujourd’hui d’un épais magma de branches mortes et de feuilles tombées des chênes et des châtaigniers alentours. Elles sont certes encore modestes mais elles ne demandent bien sûr qu’à s’approfondir. « J’ai l’intention de dire au maire de faire une vraie route ! » Une ombre de désillusion semble alors voiler le ton volontaire de sa voix. « Vous seriez d’accord pour joindre votre demande à la mienne, n’est-ce pas ? » Je comprends parfaitement qu’une vraie route, comme il dit, serait la bienvenue pour lui. Il épargnerait ainsi son beau 4X4 qui peine à demeurer aussi rutilant que dans son garage et il pourrait remplacer ses bottes souillées de boue par des Weston luisantes de cirage. « Ce n’est pas parce qu’on vit à la campagne, tente-t-il d’argumenter, qu’on n’a pas droit à un minimum de propreté sinon même de confort ! Et puis quoi, c’est l’avenir, non ? ». Le ton de sa voix emprunte cette fois des accents de conviction dignes d’un politicien dressé sur sa tribune. « Il faut améliorer l’avenir, conclut-il avec force. Il faut améliorer l’avenir » ! La moitié de la population mondiale ayant moins de 27 ans, on peut espérer en effet que cette jeunesse nombreuse saura apporter un peu d’air frais et plus d’humanité au cœur du monde. Voilà, en tout état de cause, qui laisse bien des choses à penser à propos du futur et de ses détours imprévisibles.

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