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Devenir ce que l'on est

Publié le 22 janvier 2016 par Rolandbosquet

Vieux

      C’était avant les "fêtes". Bravant le réchauffement climatique qui sévissait sur la campagne, la factrice avait glissé dans ma boite aux lettres la traditionnelle invitation au repas annuel des "anciens" du village. À l’occasion de la chandeleur, précise le carton, le club "Les Feuilles d’Automne" sera heureux de vous accueillir en la salle des fêtes municipale pour un repas préparé avec les membres de l’association "Le Tricot Solidaire" et servi par les jeunes du club du "Tir à l’Arc" sous la présidence de Monsieur le Maire et de Madame la Conseillère Départementale. Tout en prenant connaissance du message, je bouchonne l’enveloppe avec tant de ferveur qu’elle se transforme bientôt en boulette de papier, choit sur les tomettes et rebondit jusqu’au réfrigérateur. Subodorant sans doute que je le prends pour un jeune chiot, mon chat César m’adresse alors un regard venimeux avant de me tourner dédaigneusement le dos et de regagner sa chaise en paille avancée devant la cheminée. Je comprends qu’en réalité, il ne souhaite pas me voir accepter la convocation. N’y va pas, semble-t-il me dire en léchant sa patte avec ardeur avant de la passer derrière son oreille. Il n’y a que des vieux dans ces réunions-là. Et vous allez parler de quoi ? Que de choses de vieux !  Et pourquoi n’irai-je pas ? lui dis-je, partant du principe que je ne suis tout de même tenu lui obéir à chaque injonction. Paulo Coelho ne disait-il pas « cessez d’être ce que vous étiez et devenez ce que vous êtes » ? Sous le prétexte qu’on ne l’est surtout que dans le regard des autres, j’ai longtemps refusé de reconnaître que j’étais devenu vieux. Le trentenaire est vieux pour l’adolescente ; le quinquagénaire pour la sémillante jeune femme de trente ans ; le septuagénaire pour ses petits-enfants. Et s’il arbore en plus un crâne chenu et une barbe blanche, il devient presque le Père Noël qui apporte un cadeau à chacune de ses visites. On est surtout vieux dans sa tête, pensais-je, et tant que la tête tient bon, tout tient. C’était hélas faire fi des exigences de la nature ! Élaguer une haie ou abattre un fayard rongé par l’âge au point de représenter un danger pour son entourage devient, au fil des ans, de plus en plus fatigant. Et la fatigue de plus en plus longue à porter. Se baguenauder par les chemins et respirer le bon air des arbres procure un plaisir sans pareil. Mais le souffle commence un jour à manquer, les jambes se dérobent et le cœur s’affole. Vos promenades doivent se faire de moins en moins longues et de moins en moins escarpées. Jusqu’à ce que votre médecin, goguenard, vous conseille de lever le pied. L’œil pensif et le front bas, il vous faut donc vous l’avouer : vous êtes vieux. S’engage alors une longue maturation pour être enfin celui que vous êtes devenu. Un fauteuil confortable, une flambée dans la cheminée, les Années Pèlerinage de Franz Liszt par Bertrand Chamayou ou les sonates pour piano de Mozart par Daniel Barenboïm, La Joie de Georges Bernanos ou le dernier opus de notre inénarrable académicien Jean d’Ormesson deviennent des viatiques indispensables pour enrichir une vie de plus en plus paisible. Un recoin de votre esprit ne s’en rebelle pas moins, parfois, face à l’engourdissement qui guette. Un livre, un article, une réflexion, un mot suffisent à réveiller la petite lueur de mauvaise foi qui ne sommeille que d’un œil. Provoquant de nouveaux gribouillages qui ne resteraient que vagues logorrhées si le jardinier qui demeure en vous n’avait à cœur d’en arracher les herbes folles et d’en tailler les branches inutiles, sans oublier bien sûr d’y ajouter un peu de sens commun de temps à autre. Selon les démographes, vivent actuellement dans notre bel hexagone autant de jeunes de moins de 20 ans que de vieux de plus de 60. Et tous s’accordent à dire que si l’avenir appartient bien aux premiers, les seconds ont encore quelques beaux jours devant eux. Ce qui laisse donc bien des choses agréables à penser à propos du futur

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