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Entre progrès et modernité

Publié le 26 février 2016 par Rolandbosquet

nostalgie

      Retrouvailles avec un ancien comparse de collège. Que de chemin parcouru en 60 ans ! À l’époque, son petit village normand était équipé de deux téléphones. Le premier trônait sur le buffet de la salle à manger du maire, entre la photographie en noir et blanc du Mont Saint-Michel à marée haute et celle de son père recevant le Poireau des mains de Jacques Leroy Ladurie lui-même. Il était réservé aux relations avec la Préfecture pour les soirs d’élections et avec les pompiers, les gendarmes ou le médecin pour les urgences réellement urgentes. L’autre était serti entre une pile de "Nous Deux" poussiéreux et un bidon tout cabossé d’encaustique Libéron et Chotard sur une étagère de l’arrière-boutique de l’unique épicerie. Sa pratique, payante, était à la disposition des clients qui l’utilisaient essentiellement pour les grandes occasions comme recevoir enfin des nouvelles fraîches de cousins éloignés, apprendre que la fille aînée d’Henri vient d’accoucher d’une fille ou que la grande Hélène est au plus mal. Le concert des commères était généralement informé bien avant le véritable destinataire. Mais l’important était que la nouvelle lui parvienne. Le reste concernait la vie du village. Aujourd’hui, nul besoin de se rendre chez le maire pour appeler le médecin à cause d’un rhume persistant et nul besoin pour l’édile d’appeler les pandores à la rescousse pour une bagarre qui tourne mal à la sortie du bal du samedi soir. Ni les uns ni les autres ne se déplacent plus pour de telles peccadilles. Nul besoin non plus pour les demoiselles de l’épicerie d’envoyer Ernest sur sa bicyclette avertir le Dédé du décès de son père. L’âge avançant et les grands magasins de la ville leur prenant leur dernière clientèle, elles se sont résolues à fermer leur boutique. Plus de caramels pour les enfants en guise de rendu de monnaie. Plus de discussions sans fin sur l’état de santé du curé envoyé finir ses jours dans le mouroir diocésain. Plus de cris de joie à l’annonce de la réussite au baccalauréat d’anciens élèves de l’école communale. La cabine téléphonique installée depuis ce jour fatidique sur la place de la mairie est elle-même à la réforme à force d’avoir été régulièrement vandalisée par on ne sait qui et faute d’utilisateurs. Chacun possède désormais son appareil à domicile, installé dans un recoin de la cuisine-salon-salle à manger sur un guéridon muni de son napperon de coton et de sa liste des numéros les plus importants tels que ceux de la famille, des cousins éloignés, des amis proches et du Samu qui ne se déplacerait d’ailleurs pas à cause du trop grand éloignement avec l’hôpital. Mais chacun peut téléphoner quand il le veut, à qui il veut et aussi longtemps qu’il le veut puisque plus aucune oreille n’écoute avec curiosité de l’autre côté de la porte du débarras qui ne fermait plus depuis longtemps. Plus guère personne non plus ne se baguenaude dans les rues puisqu’il n’y a plus de nouvelles sensationnelles à colporter d’une maison à l’autre. On peut certes y croiser de temps à autre quelques jeunes en vacances scolaires chez Papy-Mamie. Les yeux rivés sur l’écran du téléphone portable greffé dans leur main, ils ne vous verront sans doute pas. Et même s’ils vous voyaient, vous n’êtes pour eux qu’un étranger. Et comme leurs parents leur ont appris à ne pas parler aux étrangers, ils tourneront la tête ou s’abîmeront avec application dans la conversation de la plus haute importance qu’ils partagent avec leur "meuf" quittée une heure plus tôt ou avec leur "mac" qu’elles retrouveront probablement le lendemain matin. Et les chemins de la modernité étant imprévisibles, peut-être même bien avant. Ce qui laisse bien des choses à penser à propos de l’avenir du progrès. 

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