Et voilà, ça y est, c’est reparti, comme chaque année, le printemps est de retour… Tu parles d’une corvée !
Ben voilà, c’est déjà fini, de pouvoir s’emmitoufler dans de bon gros lainages douillets, il va falloir à nouveau montrer ses coudes et ses genoux à tout le monde en portant des fringues ridicules à manches courtes. Finie aussi, la pudeur, motivée par le froid, dont faisait preuve jusqu’alors l’homo sapiens moyen ; il va pouvoir étaler sa connerie sans retenue dans les rues comme on étale du nutella (beurk !) sur du pain : revoici la litanie des héliotropes imbéciles qui se sentent forcés d’afficher un sourire béat dès qu’un rayon de soleil apparait, des petites pisseuses qui se croient sexy en se trimbalant la boudine à l’air, des beaufs habillés en gros cons de touristes qui braillent dans leurs portables sur les terrasses de café et des automobilistes flambeurs et sûrs d’eux qui roulent avec leur autoradio à fond la caisse et fenêtres grandes ouvertes, imposant aux passants leurs airs de rap débile ou de techno à deux balles. De façon générale, finie la tranquillité : finie la tranquillité pour l’artiste, le chercheur, le penseur et pour tout autre créateur qui a besoin de faire abstraction du monde extérieur et des contraintes matérielles qu’il comporte pour travailler sereinement. Désormais, parce qu’il fait trop chaud pour laisser la fenêtre ouverte il devra supporter à nouveau le chant joyeux des taille-haies et des tondeuses à gazon entre deux piaillements suraigus de gamins pas fichus de jouer ensemble sans chialer toutes les cinq minutes. Finie la tranquillité pour l’amateur de grasses matinées, le soleil chauffant les carreaux aux aurores et l’apaisant martèlement de la pluie sur le toit se faisant rare. Finie la tranquillité pour celui qu’un trop-plein d’animation énerve, le calme et la sérénité des soirées d’hiver laissent la place à une lumière et à une musique omniprésentes. Finie la tranquillité pour le véritable amateur de promenades, les bataillons de vandales de l’été envoient déjà en reconnaissance les envahisseurs professionnels de plages, de ribins et de forêts, qu’ils s’agissent des homards étalant leur couenne en plein soleil, des cyclistes du dimanche qui s’habillent comme Contador pour faire un kilomètre ou des pique-niqueurs qui salopent la cambrousse en laissant derrière eux des souvenirs de leurs repas qui, grâce au vent et aux courants marins, iront agrandir l’île de déchets plastiques grande comme cinq fois la France qui surnage paresseusement en plein océan Pacifique, ce qui nous éloigne de notre sujet. Finie la tranquillité, de façon générale, pour celui qui aime la pluie, le vent, la fraîcheur, le souffle profond de l’océan, l’air vivifiant, le calme et la quiétude : place aux morsures cutanées et visuelles de ce soleil immonde, place à une atmosphère tiédasse qui fait taire les sensations, place à la transpiration qui vous fait puer à cent lieues à la ronde, place à l’ambiance électrique, à l’excitation, au bruit, à la lumière et à tout ce qu’on n’ose pas avouer détester de peur d’être ostracisé et d’être considéré, au mieux, comme un rabat-joie achevé ou, au pire, comme une anomalie épouvantablement exotique qu’il faudrait enfermer chez les dingues, en vertu des lois non-écrites de dame pensée unique…
Je suis un peu à cran, en ce moment, j’avoue…
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