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Civilisation et barbarie.

Publié le 01 avril 2016 par Rolandbosquet

barbarie

         Le nez en l’air et l’œil rêveur,il se baguenaudait benoîtement dans le bois en contrebas de mon courtil. C’est du moins ce qu’il prétend. Je le soupçonne d’être plutôt parti relever quelque collet ou autre piège de son invention dans l’espoir de revenir à la maison avec un lièvre ou un lapin dans sa besace. Quoi qu’il en soit, alors qu’il voulait enjamber une repousse de châtaignier jetée à terre par le dernier coup de vent, notre ami Joseph n’a rien trouvé de mieux que de briser le tibia de sa jambe droite. Je l’avais jadis "ramassé" sur le bord de la route qu’il arpentait sans autre but apparent que d’aller toujours plus loin. Aussi maigre et dépenaillé qu’un ascète itinérant au sortir du carême, je l’avais confié à mon amie Marthe Dumas, du mas du Goth, qui s’était alors donné pour mission de le "remplumer". En dépit d’une ou deux escapades de chemineau nostalgique des étoiles et du vent, il avait fini par accepter le rôle d’"homme toutes mains". Pour l’heure, c’est armé d’une branche glissée sous l’aisselle qu’il est parvenu à gagner ma porte. La lune caresse depuis longtemps les futaies de châtaigniers et de bouleaux lorsque je ramène enfin l’aventurier claudiquant et grimaçant au bercail. Jurant par tous les diables entre ses dents, notre amie s’excuse aigrement de ne pouvoir nous servir son fameux civet à la moutarde. Une soupe de légume et une belle part de camembert avec un verre de cidre feront l’affaire. C’est au moment du café qu’elle disparaît tout à coup dans la remise attenante à sa cuisine. La lune est descendante et en phase croissante, dit-elle au retour. Les grosses gelées sont derrière nous. C’est le moment de planter les échalotes. Et elle me tend une cagette garnie de plants d’échalote de Louisiane. Il faudra tout de même recouvrir de fougères parce que tant que Pancrace n’est pas fêté, on ne sait jamais, ajoute-t-elle doctement. Comme j’esquisse un geste de recul, elle insiste. Là-dedans, il y a des vitamines B6, B9, C et A, du phosphore du magnésium, de potassium, du fer, de manganèse et du cuivre. Et les tiges vertes finement coupées sont divinement goûtues dans l’omelette ! Presque du Michel Onfray dans le texte !  Ne vous moquez pas, me reproche-t-elle. C’est la nature et elle fait de bonnes choses ! Elle a raison. À ceci près que la nature n’est ni bonne ni mauvaise. Elle n’a qu’une seule obsession, vivre et survivre. Et dans ce but, elle élimine les faibles et favorise les forts pour qu’ils puissent se reproduire et pérenniser ainsi la poursuite de l’objectif. Partie intégrante de la nature, l’homme partage la même préoccupation. Il se révèle même, à ce titre, un prédateur impitoyable. Des siècles de vie en société lui ont toutefois imposé peu ou prou une certaine forme de respect de la vie. Il tente ainsi souvent d’adoucir les exigences de la nature en protégeant les plus faibles ou en réparant autant que faire se peut, grâce à sa science et à ses connaissances, les corps abimés par les maladies ou les accidents. Hélas, cinq à six mille ans de civilisation n’ont toujours pas permis d’extirper chez lui les vieux réflexes sauvages du chasseur paléolithique. Envers ses congénères comme envers les animaux, il reste encore aujourd’hui capable des mêmes atrocités barbares. Combien de siècles encore, combien de millénaires faudra-t-il pour qu’il se libère de ses pulsions naturelles ?  Voilà qui laisse bien des choses à penser.

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