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De l’œuf ou de la poule.

Publié le 06 mai 2016 par Rolandbosquet

poules

      Réquisitionné à l’heure du café par mon voisin et néanmoins ami Sébastien pour conduire ses moutons dans un clos éloigné. Son épouse Hélène, notre ami Joseph du mas du Goth et un jeune garçon barbu et chevelu comme un hippie des années soixante nous aident à pousser devant nous la cinquantaine de bêtes. Bêlant et trottinant d’un air candide, les charmantes boules de laine n’ont en réalité qu’une seule idée en tête : bifurquer dans le premier chemin venu, s’engager dans un champ de blé au vert tendre, sauter les talus et s’enfoncer dans les bois. Les cloches de l’église du village sonnent l’heure de vêpres lorsque le petit troupeau parvient enfin à destination Il est tard, commente Sébastien. Vous mangez à la maison !  Sa fille Sarah nous y attend avec d’autant plus d’impatience que notre nostalgique du retour à Katmandou fait manifestement partie de ses bagages. Soupe de légumes du jardin, omelette aux cèpes, roquette et camembert, annonce-t-elle aux convives affamés. Frugal repas s’il en est, mais assaisonné à l’amitié, il vaut bien un couvert place des Vosges. Au moment d’engloutir sa première bouchée et enhardi peut-être par les effets du cidre bouché, Joseph entreprend notre jeune godelureau. Toi qui as fait des études, attaque-t-il d’un regard innocent, qui a commencé le premier, l’œuf ou la poule ? Silence embarrassé autour de la table. Il faut en effet remonter fort loin le cours du temps pour esquisser un début d’élément de réponse. Les gallinacés, comme tous les oiseaux qui volent et pépient aujourd’hui dans nos ciels nuageux et nos haies verdissantes, côtoyaient déjà les tyrannosaures, brontosaures et autres stégosaures. Ornés de leurs plumes multicolores, ils s’étaient, comme eux, répandus sur toute la surface du globe. Leurs belles parures ne semblent d’ailleurs pas être apparues dans le but de faciliter la tâche des copistes médiévaux mais bien plutôt pour alléger le corps de leur propriétaire et lui permettre une poursuite aisée des moucherons dans les flaques de soleil, la chasse aux musaraignes dans les sous-bois ou la fabrication de nids au sommet des cheminées alsaciennes. C’est en effet grâce à elles que le mâle peut parader devant sa promise lorsqu’arrive le printemps, la saison dite des amours. Bien que, contrairement aux objectifs affichés par les abonnés des sites de rencontres sur internet, le but de cette exhibition soit plus proche du souci de reproduction que de séduction pure. Nous aurions pu ne pas les connaître. Il y a 66 millions d’années, un volcanisme échevelé et la chute d’un astéroïde sur le futur empire des Aztèques provoquèrent un réchauffement climatique (déjà) qui déclencha une rupture brutale de la chaîne alimentaire, conduisant les dinosaures vers l’extinction. Les poules auraient dû subir le même sort. Mais rouées comme un brocanteur en baguenaude dans un vide-grenier et à l’image des ancêtres de nos mésanges et autres bergeronnettes, elles avaient depuis quelque temps déjà troqué leurs dents contre le bec qu’on leur connaît aujourd’hui. Il leur sera une aide précieuse pour picorer les graines tombées sur le sol au moment de la moisson. Ainsi, non seulement elles survécurent aux cataclysmes mais elles se multiplièrent tant et si bien qu’il n’est plus guère aujourd’hui de ferme ou de jardinet néorural sans son poulailler. Les écologistes lancent cependant un cri d’alarme. Agressées par l’industrialisation, l’urbanisation, les pesticides et le virus de la grippe aviaire, de trop nombreuses espèces de volatiles sont en voie de disparition, mettant ainsi à mal la sacrosainte biodiversité. C’est pourquoi il conviendra à l’avenir de montrer la plus extrême vigilance. Si les poules venaient à retrouver leurs dents, les diplodocus ne seraient pas loin et l’avenir de l’homme en grand péril. Mais on dit que l’Histoire ne se répète pas. Quant à répondre à la question de Joseph, Aristote lui-même n’y parvint qu’au prix de quelques contorsions sémantiques encore enseignées de nos jours dans les universités pour illustrer le maniement du paradoxe. Ce qui nous laisse encore bien des choses à penser.

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