Le monde bruisse de fureur et de bruit autour de ma vallée blottie au cœur des Monts et je dois souvent me faire violence pour abandonner la douce quiétude champêtre qui y règne. Je ne parle pas là des escapades chez le boulanger, l’épicier ou à la médi@thèque qui sont souvent l’occasion de rencontres amicales et de discussions enflammées sur les sujets les plus futiles comme les plus graves. Je ne compte pas non plus les déplacements ici ou là pour entendre Bach, Beethoven, Chopin,Lisztou Rachmaninov. Les séances de dédicaces de mes romans dans les librairies ou les salons dits littéraires, sont tout autant précieuses pour les confrontations souvent enrichissantes qu’elles impliquent. Mais hormis pour des retrouvailles avec des amis, où serait le plaisir de me baguenauder le nez au vent sur des trottoirs encombrés, de subir la promiscuité de transports en commun inconfortables, d’affronter une circulation bruyante et de respirer un air totalement dépourvu des aimables fragrances d’herbe coupée, de roses et de lilas qui embaument mon courtil ? Mais je peux, au moins, éviter ou limiter tous ces inconvénients et rester, si je le veux, douillettement emmitouflé dans le bon air de mes arbres. Je peux aussi esquiver les écrans de télévision ou les unes des journaux qui se repaissent à volonté de violence et de brutalité réputées vendeuses et ne reflètent en réalité que l’incohérence individualiste d’une société échevelée nourrie à la vénéneuse potion du vivre plus fort, plus brillant, plus riche. Que veulent détruire, par exemple, ces jeunes casseurs que l’on exhibe actuellement à satiété dans les médias ? La société ? La bourgeoisie ? La propriété ? À moins qu’ils ne soient animés que par la haine, la haine d’eux-mêmes et la haine des autres. Cette haine pour la vie que l’on retrouve dans le regard halluciné des enfants-soldats enrôlés de force dans les milices de tous bords ou des embrigadés de Daech en quête d’un paradis de pacotille. Ils ne sont pas seuls hélas à pratiquer cette haine ordinaire. Un peu partout sur la planète, et depuis toujours, on tue, on viole, on égorge, on emprisonne, on assassine, on massacre sans même une émotion dans le regard. Le dictateur pour conserver son pouvoir, son opposant pour s’en emparer, une ethnie qui s’estime méprisée contre celle qui tient les postes, une croyance persuadée de posséder l’unique Vérité contre ceux que leurs gourous nomment les infidèles et cent autres combats fratricides qui déchirent chaque jour des familles et des vies. Et benoîtement retiré dans mon havre de paix, je me vois bien impuissant. Et tout aussi faible et inutile face aux soubresauts de la nature. Le réchauffement climatique qui assèche encore un peu plus les déserts, les incendies qui détruisent les forêts, les inondations qui submergent les deltas, les tremblements de terre qui ravagent les habitations, les écoles, les hôpitaux. Et à toutes ces calamités, il faut ajouter celles que l’homme provoque en toute inconscience. La surpêche qui vide les océans, les déchets qui les polluent, les cultures intensives qui appauvrissent les sols, les engrais et les pesticides qui les empoisonnent. Et fuyant leurs terres hier fertiles et devenues stériles, fuyant leurs maisons, leurs villages, leurs villes bombardées, rasées, anéanties, des millions de migrants errent sur les routes en rêvant de solidarité et de fraternité humaine. Moi aussi, parfois, je rêve que concorde et harmonie se sont répandues partout de par le monde. Que la tolérance est désormais l’unique règle de gouvernance des peuples. Que les blancs et les noirs partagent non seulement l’eau de la même source mais aussi le même plat de lentilles sans s’écharper. Que la liberté d’expression si chère à ceux qui croient ne croire en rien permet aux croyants en quelque chose de vivre leur foi en paix. Que le port de la kippa ou du foulard n’est plus par exemple un prétexte d’exclusion mais d’acceptation de l’autre tel qu’il est. Je rêve en un mot que s’il ne peut éviter la maladie, la mort et les catastrophes naturelles, l’homme tente au moins de réduire les fléaux dont il est la cause. Et lorsque je me réveille devant mon poste de télévision, j’apprends qu’une fois de plus une bombe a fait une trentaine de morts et le double de blessés sur une place de marché en Afghanistan, en Centre-Afrique ou ailleurs. Je peux bien sûr éteindre et ouvrir un livre, écouter Mozart ou aller parler aux oiseaux. Mais je sais qu’au-delà des collines qui m’entourent, la paix n’est encore qu’une chimère. Ce qui laisse bien des choses à penser
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