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Inondations de verdure

Publié le 07 juin 2016 par Rolandbosquet

inondations

        Visite inopinée, comme d’habitude, de mon futur voisin de l’autre côté de la route accompagné, cette fois, de son épouse. Les bras chargés d’une boite tout droit sortie de chez le pâtissier, elle exhibe un sourire à décrocher la mâchoire : avec tous les ennuis de la construction de la maison, on s’est dit… ! Lui, tel un prestidigitateur, sort une bouteille de vin blanc de la poche de sa veste de cuir : la toiture est terminée ; on a signé le "hors d’eau" ; il faut fêter ça ! Fêtons donc ça ! Mon chat César leur jette un regard torve avant de se réfugier dans ma chambre. Au piano, Paul Lewis pose les derniers accords de l’allegro vivace de la sonate D784 de Schubert. Ah j’adore Mozart ! s’exclame mon visiteur en s’installant sans vergogne dans mon fauteuil. Je me contente de sortir trois soucoupes, trois verres et un plat pour y déposer dignement le gâteau. Elle se précipite pour jouer à la maîtresse de maison. En fait, remarque-t-il, d’ici, vous ne voyez même pas la cheminée ! De quoi donc aurais-je à me plaindre dans ces conditions ? Suit l’interminable litanie des déboires et disfonctionnements qui accompagnent toute construction. Le chef de chantier selon lui incompétent, les maçons paresseux, le plombier qui ne viendra que dans un mois, l’électricien qui ne veut pas venir avant, le fournisseur des volets qui n’a pas livré à la date prévue… Les récriminations s’étirent comme une liste de courses de mère de famille de cinq enfants. Mais il tient absolument à m’exposer ses projets pour sa "propriété". Un garage pour trois voitures. Vous savez ce que c’est, loin de la ville, il faut une voiture sinon on reste calfeutré chez soi ! Une piscine couverte façon grange traditionnelle avec de larges baies vitrées ouvrant sur les bois. Des panneaux solaires par souci du réchauffement climatique pour chauffer l’eau. Il a d’ailleurs un plan pour en avoir à presque moitié prix mais cherche toujours un artisan local pour les lui poser… L’autre jour, lance-t-elle à brûle-pourpoint comme pour rappeler sa présence, vous étiez absent, alors on s’est permis de faire le tour de votre jardin ; il est magnifique ! Je fais mon modeste. Il s’inquiète de savoir combien d’heures par jour je consacre au jardinage tout en observant qu’étant à la retraite, je dispose évidemment de tout mon temps. Je doute qu’il sache, lui, le prendre pour parler à ses arbres, écouter les fauvettes et les rossignols et regarder benoîtement l’herbe pousser. De toute façon, il ne laissera que peu de place à une pelouse qu’il faut toujours tondre, tondre et tondre encore. Quelques fleurs peut-être mais qui poussent toute seules dans des bacs de couleur pour agrémenter la verdure qui nous entoure. Je n’ose demander pourquoi ils veulent tant s’installer à la campagne. Pour faire comme tout le monde, probablement, pour investir leurs économies dans du solide comme la pierre, pour placer l’argent de l’assurance-vie laissée par les parents. Mais pas pour le pire en tout état de cause. Pas pour l’ouvrage que cela peut représenter et qui procure pourtant bien des plaisirs et des satisfactions. C’est ainsi hélas que des champs et des bois disparaissent au profit d’un inextricable écheveau de routes à quatre voies bien goudronnées et d’aires commerciales. Et l’on s’étonne ensuite que l’eau de pluie ne s’écoule plus dans les anciens fossés disparus, que ruisseaux et rivières sortent de leur lit traditionnel et se répandent dans les maisons réunies en lotissements bien bétonnés au milieu de zones depuis toujours inondables. En réalité, nul besoin de convoquer le réchauffement climatique à propos de la moindre "catastrophe" naturelle. L’homme se charge lui-même de les provoquer. C’est pourquoi on ne montrera jamais assez de compassion envers les braves gens victimes de l’impéritie de leurs dirigeants. Car leur désarroi devrait en la circonstance nous laisser bien des choses à penser.

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