Journée faste pour le jardinier. La lune lui conseille fortement d’élaguer, de planter, de bouturer, de tondre, de repiquer et de tailler. En un mot, bien que levé dès l’aube, il n’aura pas une minute à lui pour rêver, écouter les gazouillis des fauvettes à tête noire ou simplement regarder l’herbe pousser. Mais le ciel en a décidé autrement avec l’immuable procession d’averses orageuses et d’ondées. J’ai donc arbitré en faveur de ma paresse naturelle. D’abord faire benoîtement, à la première éclaircie, le tour de mon courtil pour vérifier que tout est en ordre, réconforter mes arbres pour leurs branches brisées par le vent, donner sa friandise de pain dur à ma chèvre naine, leur ration de blé à mes pigeons, saluer les écureuils réfugiés dans les sapins, les tourterelles qui s’interpellent de chêne en châtaignier et les bergeronnettes qui dansent leur ballet sur la pelouse. À mon retour, précipité, j’ignore la sonnerie du téléphone et j’insère dans son lecteur le disque reçu la veille de la sonate dite "Réminiscence" de Nicolaï Medtner interprétée au piano par Emil Gilels. Une fascinante magie envahit alors le salon avec autant de charme et de force que les compositions plus connues de ses compatriotes Scriabine ou Rachmaninov. C’est au moment où je tends le bras pour agripper le dernier Foenkinos que la sonnerie du téléphone récidive. Vous n’oubliez pas que vous avez une séance de dédicaces à la Librairie Bleue samedi prochain avec "L’Aulnaie", m’apostrophe l’attachée de presse de mon éditeur. Le temps de prendre en notes les rendez-vous qu’elle a programmés et le piano s’est tu et le silence retombé. Qu’à cela ne tienne, j’allume mon ordinateur pour consulter ma boîte aux lettres et, éventuellement, reprendre la chronique du vieux bougon écrite la veille. À peine ai-je composé mon code personnel qu’un carré rouge s’incruste à l’écran. Votre système de sécurité demande une analyse. Je clique sur la case "me rappeler plus tard". Mais les ordinateurs sont comme les chats : ils n’en font qu’à leur tête. Mes fichiers sont passés d’office en revue les uns après les autres. Durée d’attente : trente-deux minutes. Un rapide coup d’œil sur le calendrier qui me tient lieu d’agenda, de répertoire téléphonique, d’échéancier et de pense-bête pour presque tout me confirme que rien ne me presse. J’ai donc le temps de m’installer sur la terrasse pour écouter le concert toujours renouvelé des merles, des fauvettes et des mésanges charbonnières. Alors que je m’enfonce dans mon fauteuil de rotin à l’abri de l’avant-toit, un nuage noir poussé par le vent d’ouest s’immisce à nouveau devant le soleil et une sempiternelle odeur de pluie assombrit l’air. Je rejoins mes pénates avec un soupir désabusé. Subodorant sans doute que je vais vouloir m’installer dans le canapé, mon chat César m’ignore ostensiblement. Comme s’il ne voyait aucune raison majeure de marquer une pause dans sa sieste pour m’abandonner la place. Mais le système de sécurité de mon ordinateur a fini d’en inspecter les moindres recoins et me rassure sur son état de fonctionnement. Puisque la connexion à internet semble, pour une fois, efficace, je lance l’application courriel. Quelques publicités sont parvenues à tromper la panoplie de filtres mis en place par mon informaticien préféré. L’une d’elles présente malgré tout quelque intérêt. Pour les natifs de la troisième décade du signe des Gémeaux, la journée sera calme et détendue. Tant de perspicacité laisse bien des choses à penser.
(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)