Le petite semaine du professeur Blequin (24)

LUNDI 28 NOVEMBRE

– Bonjour, madame Kervella.

– Bonjour, professeur ! Vous avez l’air fatigué, dites-moi ! Vous ne dormez pas assez !

– C’est la connerie humaine qui me fatigue. On ne peut plus rien dire, les gens décrochent au bout de trois secondes et s’indignent sans même avoir pris le temps de comprendre ! Tenez, lundi, j’écris « Fillon ou Juppé, je m’en fous ! en 2017, tout sauf Le Pen ! »

– Donc vous vous apprêtez à voter Fillon ?

– Et voilà ! Vous réagissez comme les autres ! J’ai pourtant bien dit que Fillon, je m’en foutais ! Je suis comme Pierre Desproges : j’aurai l’impression d’agir en votant si j’ai le choix entre Le Pen et n’importe qui d’autre ! J’irai voter pour le n’importe qui d’autre, c’est tout ! Je n’y vois aucune trahison de mes convictions, bien au contraire !

– Oh, excusez-moi, j’ai réagi trop vite…

MARDI 29 NOVEMBRE

– Tout le monde réagit trop vite, aujourd’hui, c’est ça le drame ! Et le lendemain, j’écris que Karine Le Marchand, avec son émission où elle fait de la lèche aux politicards de tout poil et qui lui attire tant de critiques, est à la fois l’instrument et la victime d’un système qui fonctionne entièrement sur la connivence entre les médias et les politiciens et qui a besoin de sacrifier de temps en temps un rouage qui fonctionne trop bien pour pouvoir continuer à fonctionner impunément sans éveiller la méfiance du public…

– Victime, victime… Avec ce qu’elle touche, cette créature, c’est quand même une victime largement consentante !

– Et bien voilà, vous continuez ! J’ai dit qu’elle était à la fois l’instrument et la victime de ce système ! Je n’ai pas dit qu’elle était une victime innocente !

– …

– Bon, servez-moi une Guinness.

MERCREDI 30 NOVEMBRE

– Heu… Vous avez assisté à des conférences intéressantes, cette semaine ?

– Oui, il y a eu Yves Coativy qui nous a présenté Macario Vitalis, un peintre philippin du XX^e que les hasards de la vie ont conduit en Bretagne et qui y a passé une bonne partie de sa vie…

– Mais ? Votre Coativy, il s’intéresse pas au Moyen-âge, d’habitude ?

– Oui mais il est aussi originaire de Plestin, la commune où Vitalis s’était installé : il était enfant du vivant de ce peintre !

– Ah bon ! Il l’a bien connu, alors ?

– C’est beaucoup dire : il n’osait pas l’approcher parce qu’il avait peur de cet homme au teint jaune et au visage marqué !

– Ah ! Vous voyez bien que devenir adulte, ça n’a pas que des inconvénients !

Yves Coativy vu par votre serviteur.

JEUDI 1^er DECEMBRE

– Vous êtes bien optimiste : je maintiens que chez la plupart de nos semblables, le passage à l’âge adulte n’est pas synonyme d’accès à la maturité ! Tenez, cette semaine, à Brest, le téléphérique va rester bloquer quelques jours : plutôt normal qu’un appareil fraichement mis en service ait quelques ratés, non ? Et bien il n’en a pas fallu plus pour que les bons gros cons de service se mettent à rire et à parler de fiasco pour la ville de Brest… Ce genre de réaction me rappelle mes camarades de collège, ceux qui guettaient la moindre de mes défaillances pour s’en gausser !

– Il ne faut pas en vouloir à vos concitoyens, professeur : la construction de ce téléphérique a coûté cher, alors ils en veulent pour leur argent, c’est normal. Vous êtes un intellectuel, vous ne comprenez plus les préoccupations des petites gens…

– Je vous arrête tout de suite ! C’est ce qu’on m’a dit quand je me suis désolé du score du FN aux dernières municipales ! Je vous rappelle que je suis au RSA et que mon frère est au chômage ! Alors ne me traitez pas de privilégié !

– Matériellement, sûrement pas, mais culturellement, un peu quand même, non ?

– La culture, ça tombe pas du ciel, madame : il y a ceux qui font preuve de curiosité et ceux qui préfèrent rester devant la télé !

VENDREDI 2 DECEMBRE

– Vous êtes dur… Et à part ça, le retrait de François Hollande, vous trouvez ça bien ?

– Je trouve même ça admirable : le sage sait renoncer aux honneurs quand le moment est venu. Il faut un certain courage pour reconnaître son échec et en voulant éviter que sa présence ne soit un handicap pour son propre camp, il fait montre d’une hauteur de vue qui…

– Professeur, arrêtez ! Tout ce baratin, vous l’avez piqué à ses alliés : si le retrait de Hollande vous satisfait, c’est parce qu’il redonne à la gauche l’espoir de devancer Marine Le Pen et d’arriver au second tour !

– …

– Hein ?

– Mouais… Dit comme ça, ça fait moins classe, quand même. Mais ça fait plus vrai. Vous avez raison, madame Kervella, je suis un minable.

– Je n’ai pas dit ça : vous êtes juste hypersensible !

SAMEDI 3 – DIMANCHE 4 DECEMBRE

– C’est vrai. Et croyez-moi, sans mauvais jeu de mots, c’est pas hyper, d’être sensible. Bon, sur ce, je vous laisse.

– Déjà ?

– Oui, je suis mort de fatigue. Il faut que j’aille me reposer.

– Vous vous faites trop de soucis, prof ! Vous ne ferez pas long feu, à ce régime…

– Vous n’allez pas me parler de longue vie quand on sait à quel âge est mort votre mari ?

– Oui, je sais… Mon pauvre Yvon ! Les AVC sont la preuve de l’inexistence de Dieu !

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