LUNDI 5 DÉCEMBRE
– Bonjour, madame Kervella.
– Et bien, professeur, je commençais à m’inquiéter ! Je ferme dans une demi-heure, je me demandais si vous alliez apparaître ! Alors, dites-moi, cette semaine a plutôt bien commencé, il me semble ?
– Vous vous moquez de moi, je suppose ?
– Ben ? Quand même, l’Autriche qui dit non à l’extrême-droite…
– Ah oui, dites donc, c’est formidable : le candidat d’extrême-droite a été battu avec un score proche de celui de Ségolène Royal, l’extrême-droite hollandaise est en tête des sondages aux Pays-Bas et, chez nous, Marine Le Pen est au même niveau que Sarkozy à cinq mois des présidentielles ! Le seul score tolérable pour ces idées nauséabondes, c’est 0 % et vous voudriez que je me réjouisse qu’elles en fassent presque 40 ?
– Pffff ! Vous n’êtes jamais content !
– Et pour ne rien arranger, Gotlib est mort.
– Bah, c’est plutôt normal, à l’âge qu’il avait…
– Pas d’accord ! Gotlib, c’est comme Cavanna ou Siné : c’est des gens auxquels il faudrait interdire de mourir !
– Ça a vraiment l’air de vous attrister.
– Vous l’avez dit ! Cela dit, c’est bizarre, parce que quand Jacques Faizant est mort, ça m’avait rien fait !
MARDI 6 DÉCEMBRE
– Ah ! Ah ! Sinon, qu’est-ce que vous pensez de Manuel Valls ?
– J’en pense que l’entendre déclarer qu’il veut réconcilier la gauche, c’est comme entendre un chasseur déclarer qu’il veut réconcilier les animaux !
– Vous ne l’aimez pas, hein ?
– J’ai passé tout le temps où il était ministre de l’intérieur à gueuler pour réclamer sa démission ; maintenant qu’il quitte enfin le gouvernement, je ne vais pas militer pour qu’il devienne président, j’aurais l’impression de soutenir Sarkozy !
– Ça ! Entre lui, Macron, Fillon et les autres, on peut le dire : un Sarkozy de perdu, dix de retrouvés !
– Servez-moi un grog au lieu de dire des bêtises !
– C’est vrai que ça ne vous fera pas de mal, vous êtes bien enroué ! Vous vous êtes encore cassé la voix à force de hurler, c’est ça ?
– Primo, je ne hurle jamais, je crie parfois, et deuxio, non, j’ai juste pris froid, comme un con. Mais même enroué, je serai toujours moins con que les consternantes badernes de la ville de Brest !
– Qu’est-ce que vous leur reprochez encore, à vos concitoyens ?
– Figurez-vous qu’au marché de Noël, des pole danseuses sont venues faire une démonstration de leur activité autour du carrousel…
– Quoi ? Mais c’est scandaleux, un tel spectacle devant les enfants !
– Mais pas du tout ! Le pole danse est une activité sportive comme une autre : tant qu’on le pratique habillé, il n’est pas plus obscène que le flamenco ! Les danseuses étaient justement habillées en mères Noël : je suis sûr que les chers petits anges ont cru qu’elles s’entraînaient pour passer par la cheminée et qu’ils ont été autrement plus traumatisés de voir les vigiles débarquer !
– Ah, parce que les vigiles sont intervenus ?
– Oui, et avec toute la délicatesse que l’on peut attendre de ces flics ratés ! Et comme si ça n’avait pas suffi, il faut qu’en plus tous les bien-pensants de la ville leur déversent des flots d’anathèmes, à commencer par le maire lui-même que j’ai pourtant connu mieux inspiré ! Leur seul tort, c’est de ne pas avoir demandé d’autorisation officielle, mais maintenant qu’elles savent à quoi s’en tenir avec les pouvoirs publics, il faut s’attendre à ce que les démonstrations sauvages se multiplient !
MERCREDI 7 DÉCEMBRE
– Et bien vous ne mâchez pas vos mots ! Puisqu’on parle de Brest, et le téléphérique ? Toujours en panne ?
– Ah, vous n’allez pas vous y mettre aussi ! Je vois où vous voulez en venir, mais dans le genre « gouffre à pognon », il y a pire que cet équipement !
– Vous pensez à quoi ?
– Au porte-avions Charles-De-Gaulle, qui fait rire tout le monde ! Ce rafiot est encore en panne ! J’ai lu dans la presse que la France n’aurait plus de porte-avions pendant quelques mois : j’ai répondu « ah parce qu’elle en avait un ? »
– Vous êtes dur, professeur… Et Bernard Cazeneuve, vous en pensez quoi ?
– Il est totalement incolore et inodore : il est donc parfait. Hollande aurait dû le nommer beaucoup plus tôt, ça nous aurait fait des vacances de ne pas avoir un agité à Matignon !
JEUDI 8 DÉCEMBRE
– Et Michèle Alliot-Marie ?
– Oh, vous n’allez pas me passer en revue tout le bottin de la politique ? Qu’est-ce que vous voulez que je pense de cette vieille peau ? Sa candidature ne sert à rien !
– Vous avez raison, à rien. À part à piquer des voix à Marine Le Pen, je ne vois pas…
Dessin réalisé peu après le départ de Michèle Alliot-Marie du ministère des affaires étrangères il y a déjà presque six ans.– Vous avez fini d’être désagréable, oui ?
– Vous êtes bien nerveux, aujourd’hui ! Qu’est-ce qui ne va pas ?
– Vous voulez vraiment le savoir ? Et bien voilà : il n’y a pas si longtemps encore, j’avais pris le statut d’auto-entrepreneur pour pouvoir déclarer certaines de mes activités rémunérées…
– Et alors ?
– Et alors payer des cotisations sociales, ça, d’accord, je m’y attendais, mais devoir payer une taxe foncière supplémentaire pour une activité que j’exerce à domicile, ça, personne ne me l’avait dit ! L’administration s’en était bien gardée ! Mais ce ne serait rien si je ne devais pas remplir un papier auquel je ne comprends que pouic ! Louis-Ferdinand Céline l’avait dit : le désir du pauvre est toujours sanctionné. Quand on n’est pas du sérail mais qu’on cherche tout de même à échapper à métro-boulot-mes couilles, on doit passer sous tellement de fourches caudines qu’on en attrape un tour de reins incurable !
VENDREDI 9 DÉCEMBRE
– Vous êtes rudement remonté ; je ne vous demande pas ce que vous pensez des dernières déclarations de Marine Le Pen…
– Et bien si, tiens, parlons-en ! « Marine n’est pas raciste, elle est plus fréquentable que son père, le FN n’est pas d’extrême-droite, gnagnagna… » FOUTAISES ! Qu’on ne me traite pas de sale bourgeois quand je dis tout le mal que je pense de cette salope ! Elle ne s’adresse pas au peuple, elle s’adresse à des privilégiés qui n’ont aucune idée de ce que ça représente d’être un réfugié ! Vendredi, j’ai assisté à la réunion d’une association portant assistance aux demandeurs d’asile : les témoignages étaient édifiants ! Si on imposait le quart de ce que subissent chez nous ces pauvres réfugiés, ce serait la guerre civile ! Et la chienne de Buchenwald ose leur dire « la récréation est finie » ? Ah, parce qu’elle avait commencé ? Ce ne sont plus les coups de pied au cul qui se perdent, ce sont les coups de carabine !
– Mais ne vous énervez pas comme ça : vous n’êtes pas le seul à lutter contre le FN et ses idées, enfin !
– Oui, c’est vrai… D’ailleurs, vendredi, je prenais connaissance de ses déclarations en lisant le journal au comptoir d’une cafétéria et je n’ai pas pu m’empêcher de dire « Mais quelle salope ! » Quand la dame de service a su de qui je parlais, elle m’a approuvé : ça n’a l’air de rien, mais ça m’a réchauffé le cœur vu que je n’ai toujours pas digéré les critiques dont j’ai fait l’objet après les municipales de 2014. Ça m’a fait d’autant plus plaisir que ça venait d’une femme issue du petit peuple…
SAMEDI 10 – DIMANCHE 11 DÉCEMBRE
– Vous voyez bien que tout le monde ne perd pas la raison ! Bon, vous avez fini votre grog ? Je vais vous demander de partir, alors, je vais devoir fermer. Mais au fait, pourquoi êtes-vous venu si tard ?
– Parce que j’ai organisé mon dimanche comme un imbécile, voilà pourquoi !
– Il est vraiment temps que vous rentriez vous reposer, vous êtes à bout de nerfs… À la semaine prochaine, professeur !