LUNDI 12 DÉCEMBRE
– Bonjour, madame Kervella.
– Bonjour, professeur ! Comment va ? Vous avez meilleure mine que l’autre jour, en tout cas !
– Je suis moins enroué, c’est vrai ; il faut dire que je suis resté calfeutré chez moi une bonne partie de la semaine vu que je suis sorti un peu découragé de mon week-end…
– Ah bon, et pourquoi ?
– Parce que dimanche, tandis que j’attendais le bus, je pouvais voir la place qui lui était réservée encombrée par les automobiles qui y étaient garées malgré l’interdiction formelle : un symbole éclatant de ce qui tient lieu de civisme chez nos concitoyens !
– Mais professeur, en ce moment, c’est le rush avant les fêtes de Noël et les gens ne savent plus où se garer…
– Ce n’est pas une excuse ! Non seulement c’est une marque de mépris phénoménal à l’égard des usagers des transports en commun mais, en plus, en agissant ainsi, ils obligent le bus à bloquer la circulation pour pouvoir faire entrer les voyageurs ! Tout ça parce qu’ils ne voulaient pas passer trop de temps à chercher une place pour se garer, tout ça parce qu’ils voulaient expédier leurs courses de Noël le plus rapidement possible, tout ça parce qu’ils ne voulaient pas rater « Touche pas à mon poste » ! Comment voulez-vous que les choses changent dans ce monde où les gens ne pensent qu’à leur petit confort ?
MARDI 13 DÉCEMBRE
– Hum ! Je vous sers un vin chaud ?
– Volontiers.
– Du coq à l’âne, vous en pensez quoi, du gouvernement Trump ?
– Rien : il agit comme le ferait n’importe quel autre président conservateur, et après ? Je me souviendrai longtemps de la campagne des autres candidats à l’investiture républicaine : j’avais vu leurs « spots » sur Canal+ le soir où la chaîne fêtait ses 30 ans et j’avais d’abord cru à une rediffusion du sketch de Bruno Carette « ils sont cons ces ricains » tant ça allait loin dans l’étalage de connerie patriotarde et bondieusarde ! Les Républicains avaient beau jeu de se donner bonne conscience en désavouant publiquement Trump : aucun d’eux ne valait mieux que lui !
– Mais ça ne vous fait pas peur ?
– Pas spécialement. Actuellement, on assiste aux derniers soubresauts d’une Amérique qui n’a pas encore fait le deuil de sa toute-puissance qu’elle croyait sans limites mais qui va être bien obligée de composer avec la réalité d’un monde qui change : pourquoi croyez-vous que Trump commence déjà à lécher les couilles de Poutine si ce n’est parce qu’il sait pertinemment qu’en cas de guerre, il n’est plus sûr de gagner et que ses électeurs, qui mettront probablement un siècle pour digérer la guerre d’Irak, n’ont plus envie de combattre ? Trump est déjà un vieillard : les États-Unis n’avaient plus eu un président aussi vieux depuis les années Reagan ; toute son énergie, il l’a mobilisée pour conquérir le pouvoir, maintenant qu’il l’a, il n’en fera probablement guère plus ! D’autant que c’est aussi un milliardaire : il a passé toute sa vie à rentrer les tunes et il ne fera rien d’autre ! Je ne donne pas un an aux petits blancs qui l’ont élu pour s’en rendre compte…
MERCREDI 14 DÉCEMBRE
– Puisqu’on parle géopolitique, il parait que vous avez assisté à la soutenance de thèse d’une doctorante iranienne ?
– Oui, c’est exact : une thèse qui comparait les caricatures iraniennes parues pendant la guerre Iran-Irak et les caricatures françaises parues avant et après la seconde guerre mondiale. J’ai été le seul, à part le conjoint de la candidate, à faire le déplacement, d’ailleurs !
– Ah ! L’Iran fait encore peur, apparemment !
– Mais non, ça n’a rien à voir ! Je pense que le sujet n’était pas assez mobilisateur : il y a encore beaucoup de gens, à l’Université, qui hésitent à traiter de la caricature ! Entre les vieilles croutes qui persistent à juger que ce n’est pas un sujet sérieux et les pétochards qui, depuis le 7 janvier 2015, n’osent pas traiter le sujet, ça fait beaucoup de monde à se désintéresser de la question !
– N’empêche, c’est un drôle de sujet, qu’elle a choisi, cette dame : en quoi la guerre Iran-Irak et la guerre de 40 sont-elles comparables ?
– Elles le sont déjà sur un point : elles ont tué des gens.
– …
– …
JEUDI 15 DÉCEMBRE
– Heu… Sinon, arrêtez-moi si je me trompe, mais votre téléphone, là, ce n’est pas le même que d’habitude ?
– Ben oui, j’ai cassé l’ancien par mégarde alors j’ai acheté celui-là…
– Quoi ? Vous avez acheté ce vieux clou pourri ?
– Ben oui, il était en vente à la Fnac pour 10 euros : j’ai pu y insérer ma carte Sim sans problèmes et j’ai même retrouvé tous les numéros que j’avais enregistrés ! Je n’allais pas engloutir mes économies dans un modèle hors de prix, merci ! Je ne me servais de mon téléphone que pour téléphoner, je ne risque pas de voir la différence ! Comme dit Philippe Geluck « Beaucoup de gens se demandent ce que nous ferions sans téléphone, moi, je dis, que feraient les téléphones sans nous ? »
– Mais vous ne serez jamais dans le coup, alors, professeur !
– C’est vrai que c’est une question de vie ou de mort, ça, d’être à la mode ! Et vous en connaissez un sac dans le domaine, vous qui n’avez même pas la Wifi dans votre estaminet !
VENDREDI 16 DÉCEMBRE
– Hum ! Et votre vente de dessins collectifs au profit des réfugiés, ça s’est bien passé ?
– Bof ! Je suis un peu frustré ! Il n’y a pas eu grand’ monde et il me reste encore trois dessins sur les bras !
– Ne soyez pas frustré, c’est déjà formidable d’avoir soutenu la cause ainsi !
– Mouais ! Le problème, c’est que quand j’organise quelque chose, je suis souvent le seul à ne pas être content vu que je me suis mis la pression pour que tout soit impeccable !
– Et bien écoutez un peu les compliments que vous font les autres au lieu de n’écouter que votre ressentiment ! Si les gens sont contents, ça devrait suffire à vous récompenser, à vous dire que vous ne vous êtes pas mis la pression pour rien !
– …
SAMEDI 17 – DIMANCHE 18 DÉCEMBRE
– Vous avez besoin de vacances, vous ne croyez pas ?
– Oui, c’est vrai. D’ailleurs, je vais vous laisser, ma table à dessin me manque.
– Je vous rappelle que dimanche prochain et dimanche d’après, on sera le 25 décembre et le 1er janvier : ce sera férié et je n’ouvrirai pas !
– Et bien joyeuses fêtes, madame Kervella ! À dans trois semaines !