LUNDI 6 FÉVRIER
– Bonjour, madame Kervella.
– Bonjour, professeur ! Qu’est-ce que je vous sers ?
– La main.
– Vous êtes d’humeur pince sans rire, aujourd’hui !
– On peut le dire : c’est parce que cette semaine, je crois avoir trouvé où habite la gauche la plus conne du monde !
Gurvan Moal, le désormais ex-maire de Guipavas.– Ah, et c’est où ?
– À Guipavas ! Elle avait conquis la majorité absolue à la mairie et elle a tout foutu en l’air en même pas deux ans ! Résultat, un maire de droite vient d’être élu, un certain Fabrice Jacob dont la tête d’abruti ne me dit rien qui vaille !
– Ce n’est pas bien, de juger les gens sur la tête qu’ils ont !
MARDI 7 FÉVRIER
– Avec les élus de droite, en général, je me trompe rarement ! Ce n’est pas l’entêtement suicidaire d’un certain François Fillon qui va me faire dire le contraire !
– Que voulez-vous : pendant cinq ans, il a vécu sous les ors de Matignon, et comme tous ceux qui ont goûté au pouvoir, surtout si on les a maintenus à l’état de seconds couteaux, il croit dur comme fer à son destin national ! Sans compter que depuis la réélection de Chirac en 2002, la droite est bien placée pour savoir que les affaires judiciaires ne plombent pas les candidats autant qu’on le dit : je ne donne pas un mois à ses électeurs pour oublier cette histoire et voter Fillon avec enthousiasme !
– …
– Vous avez l’air songeur ?
– Je me dis qu’il y a quelques années à peine, ce que vous venez de me dire m’aurait désespéré : aujourd’hui, j’ai tellement peur du FN que j’en arrive à souhaiter que vous avez raison !
– Comme quoi… Non rien.
– Arrêtez de penser aussi fort, j’ai les oreilles qui sifflent d’avoir entendu « le FN a du bon » !
MERCREDI 8 FÉVRIER
– Et Macron, vous en pensez quoi ?
– Bof ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Ce ne serait pas la première fois que la France serait présidée par un banquier : souvenez-vous de Pompidou… Et puis bon, si ça peut éviter à tous ces électeurs dégoûtés par les partis politiques dits « traditionnels » de tomber dans l’escarcelle de la chienne de Buchenwald…
– Je vous ai connu plus mordant, professeur ! Cette campagne ne vous réussit pas ! Allez, vous savez quoi ? Je vous offre votre chocolat et on arrête de parler politique !
JEUDI 9 FÉVRIER
– Ah, ça c’est gentil, d’autant que cette semaine, j’ai fait de joyeuses rencontres : d’abord, il y a eu le vernissage d’Elena Tikhomirova à Morlaix…
– Elena, c’est bien la jeune femme qui participe à vos « Tac au Tac » ? Belle fille, n’est-ce pas ?
– Oui, et talentueuse : elle prouve qu’il n’y a pas que la musique qui est un cri qui vient de l’intérieur, la peinture peut l’être aussi quand on la pratique avec un cœur sincère. Il y a quelque chose de primal, dans ses toiles : certaines me font penser à ce que doit ressentir le nouveau-né qui sort du ventre de sa mère ! On est loin de certaines fadaises hermétiques sur lesquelles on colle l’étiquette « art contemporain » ! Non, la peinture d’Elena est vraiment très vivante : quand elle peint un « lac des cygnes », on a l’impression de sentir les gouttes que projette le volatile qui secoue ses ailes !
– Ah ben dites donc, ‘faut pas mettre le tableau dans une pièce trop salissante !
Elena Tikhomirova vue par votre serviteur.VENDREDI 10 FÉVRIER
– Hum ! Et après, j’ai pu rencontrer Michel Serres à la libraire Dialogues…
– C’était bien ?
– Ah, formidable : vous ne pouvez pas imaginer à quel point l’écouter m’a réchauffé le cœur ! Cet homme, qui a connu les bombardements de Dresde, juge, avec le recul que lui permet son grand âge, qu’en dépit des inquiétudes qu’entretiennent les médias, nous vivons, du moins en Europe une ère heureuse, un « âge doux » comme il l’appelle : pas de guerres, peu de maladies et une population qui, dans sa majorité, mange à sa faim. Un vieillard d’aujourd’hui est moins près de sa mort que ne l’était un nouveau-né au début du XXe siècle ! On ne s’en rend plus compte parce que ça fait 70 ans que ça dure mais, à l’échelle de l’histoire, c’est un fait absolument unique et, de surcroît, fabuleux !
Votre serviteur offrant une caricature à Michel Serres.– C’est vrai, ça : et après, on n’arrête pas de se plaindre pour un oui ou pour un non ! L’homme occidental est un enfant gâté devenu aveugle !
– Hé, c’est de moi, cette phrase-là !
– Oui, mais à force de la répéter sans arrêt, vous l’avez fait tomber prématurément dans le domaine public !
Michel Serres vu par votre serviteur.SAMEDI 11 FÉVRIER
– Hum ! Et hier, enfin, Jacques Arnol nous a parlé de Rosalie Léon, la petite bretonne devenue maîtresse d’un prince russe ; ils ont formé pendant une vingtaine d’années un couple illégitime mais charmant car Rosalie n’a jamais oublié ses origines et a su faire aimer son pays natal à son prince, de sorte qu’ils ont su faire profiter les gens du pays de leur fortune en leur procurant des fontaines publiques, en leur distribuant de l’argent, en mettant sur place des structures d’assistance…
Jacques Arnol vu par votre serviteur.– Ah ! Si tous les riches pouvaient suivre cet exemple, il y aurait moins de malheureux sur terre !
– Il n’y en aurait même plus du tout ! Si tous ces nantis qui n’auront pas assez d’une vie pour dépenser tout ce qu’ils gagnent ne partageaient qu’un tout petit peu de leur fortune, ils resteraient richissimes et la misère serait abolie ! En fait, l’argent, c’est comme le pouvoir : ça ne change pas les hommes mais ça révèle ce qu’ils sont vraiment.
DIMANCHE 12 FÉVRIER
– Bien dit ! Je vous remets un chocolat ?
– Non merci, il faut que j’y aille, je vais faire des caricatures à l’occasion d’une journée de soutien au profit de Digemer, cette asso qui vient en aide aux demandeurs d’asile en pays de Brest. Au fait, je ne vois pas l’affiche de cet événement que j’avais pourtant mise dans votre boui-boui…
– Heu… Elle a été arrachée par un client un peu bourré : il hurlait « les immigrés, qu’ils s’en aillent »…
– …
– Vous aussi, vous pensez fort, je trouve ! Désolée, mais si je filtre l’entrée, je me tire une balle dans le pied ! Allez donc à votre journée de soutien, vous allez être en retard !