Magazine Journal intime

Le concierge

Publié le 27 juin 2008 par Corcky




Hier, en rentrant chez moi, je me suis fait alpaguer dans le hall de l'immeuble par le voisin.
Le voisin, c'est un mec sympa, on dira qu'il n'a pas inventé le fil à couper le beurre mais c'est pas très grave, c'est pas comme si j'étais tenue d'évoquer avec lui les conséquences géopolitiques de l'indépendance du Kosovo.
Et puis lui, il taille sa haie à la main, et depuis qu'il nous a vues sortir un taille-haie électrique dernier modèle, y'a comme un voile de respect sauce "beauf' de banlieue" dans son regard.
- Hep! Mademoiselle! Pardon de vous embêter...Je vous ai vue arriver de ma fenêtre...
- Bonjour, m'sieur Machin.
- Ce matin, le facteur a sonné chez vous avec un paquet, mais vous z'étiez pas là...alors...bon, j'me suis permis...
- Mais c'est trop gentil, ça, m'sieur Machin! C'est adorable.
Derrière lui, sa femme, dans l'entrebâillement de la porte:
- Mais donne-zy le paquet, Maurice, au lieu d'causer!
Et de me remettre un colis blanc avec un regard interrogateur.
Tu penses bien que ça lui brûlait les lèvres de me demander ce qu'il pouvait bien y avoir dans la boîte.
Et tu penses bien que j'allais pas lui répondre, vu que ça aurait donné à peu près ça:
- C'est une copine Corse qui habite en Suède, je l'ai aidée à monter un concours humoristique sur internet pour désigner le mec le plus baisable parmi une dizaine de cageots, et pour me remercier, elle m'envoie un canard en plastique qui vibre et qui sert à prendre son pied en solo, mais comme on va pas en avoir grand utilité, ma femme et moi, vu qu'on baise toujours bio, ben on va sûrement le mettre sur l'étagère du salon, les invités n'y verront que du feu et ça nous fera bien marrer.
Je suis donc rentrée chez moi sans satisfaire la curiosité de monsieur Machin.
Et va savoir pourquoi, peut-être le coup du "j'vous ai vue arriver par la fenêtre", j'ai repensé à madame Lambert.
Madame Lambert, elle était concierge vers la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, et je la voyais tous les mercredi y'a une quinzaine d'années, à l'époque où j'allais rendre visite à Mémé Epstein (je te parlerai de Mémé Epstein une autre fois).
C’était un concept à elle toute seule, la gardienne de ce vieil immeuble du Marais.
Ni portugaise, ni espagnole, elle ne nous venait pas du Sud, madame Lambert, mais du Nord le plus extrême, le plus boréal, le plus polaire : la Porte de Clignancourt.
Trente ans passés à gardienner entre Montmartre et Barbes, pour finir sa carrière dans ce « quartier de tantouzes », comme elle grommelait à qui voulait l’entendre, avec son accent de Parigote qui me rappelait la môme Piaf.
D’ailleurs, il n’y avait pas que sa gouaille qui évoquait la grande Edith, le cœur y était aussi pour beaucoup.
C’est qu’elle en passait, du temps, à dorloter, à réconforter ces « petits pédés » qui faisaient trois têtes de plus qu’elle et qui étaient plus nombreux dans l'immeuble que les bigoudis qu'elle se plantait dans les cheveux.
« Ils ont l’âge d’être mes fils », se défendait-elle quand on la surprenait à câliner gentiment un grand échalas en larmes qui venait de se faire larguer par son beau ténébreux.
Elle était comme ça, madame Lambert, elle te prenait manu militari par le bras, t'entraînait dans le fond de sa loge, te faisait asseoir sur le fauteuil marronnasse, en face de la petite cheminée couverte de napperons hideux, préparait une tisane infecte à base de plantes, et avant d’avoir eu le temps de dire « ouf », tu te retrouvais en train de raconter tes malheurs, tous tes malheurs, les yeux fixés sur les broderies au point de croix qui tapissaient les murs (et qui te rappelaient qu’il y a pire que tes problèmes, finalement).
La tisane bue, les larmes taries, elle t'offrait un petit chocolat fourré à la cerise, te tapotait la joue avec maladresse et te disait des paroles simples, des paroles aussi chaudes que des petits pains tout juste sortis du four, des paroles parfumées qui s’envolaient et se nouaient autour de ton p'tit cœur, ça te faisait une écharpe de mots toute douce, et quand elle te mettait gentiment à la porte (« allez, allez, j’ai du boulot, moi, allez, oui, oui, c’est ça, à bientôt »), tu te retrouvais un peu bête, avec ce mauvais goût de tisane dans la bouche, mais curieusement, tu te sentais mieux.

Quand je passais devant la loge, elle me posait toujours la même question:
- Vous allez voir la vieille Israélite?
- Oui
- Ben souhaitez-lui bien des choses de ma part.

Madame Lambert, c'était la seule famille de Mémé Epstein, elles étaient cul et chemise, même quand madame Lambert bavait ses conneries sur les Juifs qui sont tous riches et radins.
En fait, elle était avec les Juifs comme avec les pédés du quartier: remplie de préjugés, mais le coeur sur la main.
Mémé Epstein, quand je m'énervais après sa concierge, elle me disait toujours:
- Sha, maidele, sha, shtil...Elle est un peu meshuge, mais elle est bonne comme du bon pain.

Moi, avant de monter chez Mémé Epstein, je restais dans le hall quelques minutes pour papoter avec madame Lambert, mes gâteaux à la main (j'ai toujours apporté à Mémé Epstein deux éclairs au chocolat, pas un, pas trois, deux: c'était un rituel quasi religieux).
Madame Lambert me racontait scrupuleusement les potins du jour, tout chauds sortis des tabloïds qu’elle consommait avec autant d’avidité qu’une boulimique: même fébrilité avant de passer à l’acte d’achat, même frénésie dans la consommation des produits et au final, l’équivalent des deux doigts au fond de la gorge quand elle te régurgitait littéralement le contenu de ce que son cerveau venait d’ingérer.
Je me suis souvent demandé quand elle trouvait le temps de passer l’aspirateur et d’astiquer les rampes.
C’est sans doute pour ça que cet immeuble était aussi poussiéreux, la concierge était jamais dans l'escalier.
Putain de presse people.

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