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En dessous de sa boule sombre de cheveux, elle confesse : "Je suis sous antidépresseurs depuis deux semaines et demi. Je vais mieux, remarquez. Au début, j'ai carrément été d'humeur suicidaire.
Je réponds :
- Attendez, Pamina, reprenez depuis le début. Vous avez reçu un recommandé au moins ?"
Mais la secrétaire n'arrive pas à me parler de ce qui s'est passé car c'est son avenir qu'elle voit en gros plan, menaçant :
"Au premier juillet je vais être SDF. Je vis dans un résidence hôtelière sociale. Il faut payer le loyer le premier du mois. Sinon on est mis dehors. Le 1er je ne pourrai pas payer.
- Mais il ne vous a pas donné d'indemnités ?
- Il me versera un mois, le mois de juillet. Il m'a dit que je ne méritais pas plus. Vous verriez les mails qu'il m'envoie depuis. C'est du harcèlement. Et des sms ! Il m'écrit des horreurs. Il m'a interdit de parler aux professeurs. Il évoque la liste interminable des griefs que ceux-ci ont, d'ailleurs, contre moi.
Elle frémit :
- Alors que jamais, jamais je ne me suis autant dévouée pour un emploi ! Parce qu'il n'y avait pas que l'accueil, le téléphone, les relances, les facture.... Le mercredi je surveillais les petits. Qu'ils ne se précipitent pas sur la route en sortant de leur cours d'éveil musical. Qu'ils repartent avec la bonne personne. Certains parents les laissaient à ma garde un peu avant le cours, des tout-petits !
- Bon, il va vous verser un mois en plus de votre salaire de juin, vous pourriez donc payer votre loyer ? Il ne faut pas perdre votre logement.
- Mais non, si je paye mon loyer je n'aurai pas de quoi manger. Je m'en sortais, péniblement, parce que le 15 du mois je demandais une avance. Imaginez, je gagnais, avec mon Contrat d'Avenir, 756 euros net par mois, pour 26 heures par semaine. Et mon loyer est de 580 euros. J'ai seulement 155 euros d'APL. Avec l'avance j'y arrivais. Mais là ce ne sera pas possible.
- Et vous ne m'aviez pas dit que vous aviez un frère sur Paris ? Il ne pourrait pas vous héberger le temps que vous retrouviez un emploi ?
- Oh non ! Je lui ai déjà demandé. Il n'a pas la place, il a énormément de frais, un crédit à rembourser, ses deux enfants qui font des études. Il ne pourra pas m'aider, malheureusement."
Nous nous taisons.
Il y a quelques temps j'avais parlé en riant de Pamina et de ses sautes d'humeur avec Pinkerton, notre directeur. Il m'avait coupé en pavoisant :
"Son contrat se termine dans six mois. Dans six mois, elle est partie !"
Depuis, je tergiversais. Fallait-il que je la prévienne afin qu'elle commence à chercher son futur emploi ?
Je craignais de la blesser, qu'elle ne me croie pas, que Pinkerton, si elle lui en parlait, nie et que les deux se retournent contre moi.
Finalement, Pinkerton, sans doute pour économiser ses salaires d'été, a décidé de ne pas attendre janvier pour se passer des services de Pamina. Il l'accuse de faute grave parce qu'elle s'est opposée à une mère d'élève qui agressait une remplaçante un peu paumée. La mère a décidé de ne pas réinscrire ses enfants à l'école l'année prochaine. Or elle rapportait 1500 euros par an. Voilà le prétexte qu'a saisi Pinkerton, au vol. Au début, il a voulu mettre Pamina à la porte comme ça, du jour au lendemain. Le 9 juin il a posté un recommandé de licenciement en même temps qu'il lui signifiait, par téléphone, une mise à pied. Le lendemain, il s'est ravisé et l'a autorisée à reprendre son poste jusqu'au 4 juillet, date des vacances de l'école. Pamina m'a fait ses adieux :
" Je suis contente de vous avoir vue avant de partir. Comme ça je peux vous dire au revoir. Je vous aimais beaucoup. Alors..."
J'ai promis de l'aider... Mais comment ?
Illustration : Dreamasylum