En ce 30 juin, l’hémisphère sud se trouve au cœur de l’hiver. Et comme chaque année, la portion de l’Argentine où je vis est fréquemment recouverte de brouillard.
Jusque-là, rien d’original.
Que fait-on sur les routes de France et de Navarre quand il y a du brouillard?
On allume ses phares et on roule doucement en faisant confiance au civisme de son prochain.
Que fait-on sur les routes argentines quand il y a du brouillard ?
Le gouvernement ferme les routes.
Pourquoi ferme-t-il les routes ?
Parce qu’il y a trop d’accidents.
Imaginez un peu les autoroutes d’accès à Paris et les grands axes français tous fermés les jours de brouillard…
C’est la deuxième année à ma connaissance que le gouvernement agit de la sorte. L’innovation date de l’an dernier, une conséquence d’un carambolage majeur.
Le cas de figure est typique de ce pays fantasque : à l’indiscipline du citoyen lambda, les autorités répondent par la facilité de mesures draconiennes disproportionnées, propres à le déresponsabiliser un peu plus si possible. Cataplasme sur jambe de bois…
Ainsi, les Argentins ont tendance à se moquer des barrières des passages à niveau. Ils sont innombrables dans Buenos Aires et sa banlieue notamment, où les trains ne circulent qu’en surface. Ce n’est qu’au compte-goutte que des tunnels sont creusés pour faire passer les voitures sous les voies. De plus, mal entretenus, les passages à niveau restent fréquemment bloqués en position fermée, et l’on voit alors, en plein centre ville, un préposé muni d’un drapeau faire slalomer entre les barrières des automobilistes excédés par l’attente. Les accidents sont innombrables, quotidiens, dramatiques souvent. La France a connu un drame routier qui a récemment fait sept morts à un passage à niveau, l’Argentine en compte plusieurs par an : 12, 18 morts à chaque fois.
Alors, que font les compagnies de chemin de fer ?
Elles rallongent encore les délais entre la fermeture de la barrière et l’arrivée du train. Sans compter que les passages à niveau sont fréquemment situés à côté des gares, et qu’ils sont manifestement réglés pour se fermer quand le train est à une certaine distance plutôt que lorsque qu’il subsiste moins qu’un certain laps de temps avant le passage du convoi.
Que font donc les Argentins ? Ils ne donnent plus aucune valeur au signal qui leur est donné et franchissent de bon cœur les passages à niveau fermés…
Un jour, à vélo, j’ai interpelé une jeune maman dont le bébé était attaché dans son siège à l’arrière de la voiture et qui reculait pour mieux s’engager entre les barrières.
J’ai crié :
« ¡Señora! ¡Y su bebé!
¾ ¿Quién crees que sos? ¿De la policia? » fut sa réponse excédée avant de franchir le passage sous mes yeux impuissants, sans encombre grâce au ciel.
Tout était dit. En deux questions, cette jeune femme avait souligné les problèmes contemporains de l’Argentine, qu’une prof de langue
m’avait un jour ainsi résumés : les Argentins confondent mettre des limites et réprimer.
Etant donnée leur histoire récente, on est porté à l’indulgence et à la compréhension. Mais au quotidien, il n’est pas facile de servir de paillasson à son voisin !