C’est peut-être parce que je l’ai un peu trop lu pendant mon adolescence et que je continue à le faire aujourd’hui avec le même plaisir. De là me vient peut-être une certaine tendance à sentir son influence un peu partout. De qui parlé-je ? De Reiser.
Je m’explique : à l’heure où j’écris ces lignes (bonjour le cliché), ma bonne ville de Brest accueille, comme chaque mois de novembre depuis 32 ans, le festival européen du film court. J’y suis allé hier après-midi pour assister à deux séances, l’une consacrée aux réalisations d’un personnage bien barré surnommé Estéban (des Naive New Beaters), l’autre intitulée « Attaque aux bonnes mœurs ». La première proposait notamment Le club, un film traitant de la sexualité des seniors avec l’histoire de deux vielles dames indignes qui font le mur de leur maison de retraite pour assister au show d’un beau brun : le réalisateur faisait remarquer à juste titre que cette thématique est encore taboue, ce qui suffit à expliquer qu’elle ne soit généralement jamais traitée que sous l’angle de l’humour, comme l’a fait, bien sûr, l’équipe du Groland, mais aussi Reiser dans une BD où un couple surprend les grands-parents en plein ébat et persiste à les observer malgré la répugnance que leur inspire ce spectacle pourtant bien naturel et, de surcroît, plutôt rassurant concernant la santé des deux seniors.
La seconde séance comprenait dans sa programmation Botanica, un film hollandais réalisé par Noël Loozen où un employé de jardinerie, craignant de ne pouvoir satisfaire le désir d’enfant de celle qu’il aime, finit par ravaler toute fierté déplacée et à sucer un homme pour se procurer le sperme fertile qui lui fait défaut. La salle était pliée en deux, je devais bien être le seul à trouver touchant, sublime et même héroïque le geste de ce monsieur qui se sacrifiait littéralement pour le bonheur d’une femme. Là encore, ça m’a rappelé une histoire de Reiser, en l’occurrence celle de cet homme si complexé d’avoir un petit sexe et de ne pas faire jouir sa bien-aimée qu’il en arrive à se couper la main gauche pour pouvoir faire l’amour à sa chérie avec son moignon : ça prête à rire, bien sûr, mais comment ne pas respecter celui qui consent à un tel sacrifice par amour ? C’est pour des histoires comme celles-là, où l’amour est envisagé comme la seule cause qui justifie un sacrifice (car il ne s’agit certainement pas la patrie ou un idéal quelconque), que je considère Reiser comme un romantique.
En une journée de festival, en allant voir des séances que je savais être délibérément « rock’n’roll », j’ai donc vu deux films qui me rappelaient Reiser. Qu’est-ce que ça signifie ? Tout simplement que quand ils entreprennent de franchir les frontières du « politiquement correct », les cinéastes ne peuvent s’empêcher, consciemment ou inconsciemment, d’explorer des domaines qui ont déjà été défrichés par le créateur de Jeanine et de Gros Dégueulasse, ce qui confirme la modernité, l’immortalité de cet auteur.
Au festival du film court,
Reiser bande toujours,
trente-quatre ans après sa mort,
Reiser bande encore.
Lien vers le site du festival européen du film court de Brest.