Crève, France Gall ! Vive GiedRé !

« Elle l’a, Ella » : même le dernier des piliers de comptoir est capable de trouver un jeu de mot aussi balourd ; si on ne peut vraiment imaginer rien d’autre pour rendre hommage à la grande Ella Fitzgerald, on est prié de fermer sa gueule ou de se contenter de chanter des javas. Il n’est pas étonnant que tous les veaux de ce pays s’extasient sur la chanson qui porte ce titre, le propre des cons étant de ne porter aux nues que ce qu’ils sont capables de comprendre.

Vous pourriez penser, à la lecture de ce premier paragraphe, que je n’aimais pas France Gall. C’est faux : pour dire vrai, je la détestais, son œuvre me révulsait. Quand j’avais le malheur de tomber sur une de ses chansons à la radio, j’avais des envies de meurtre, je n’ai jamais pu supporter ni sa voix ridicule de godiche ni les textes insipides que lui écrivait ce crétin de Michel Berger. France Gall, c’était la variétoche française dans toute son horreur, avec son cortège d’engagements calculés et de chansonnettes nunuches pour rassurer les majors et faire pleurer à bon compte les beaufs et les rombières. Je lui en veux d’être morte un mois après Johnny Hallyday : on commençait à peine à être débarrassé de l’hommage au monument d’égocentrisme et de mépris qu’était Jean-Philippe Smet, et voilà que les radios se sentent obligés de nous remettre une couche de bluettes sirupeuses ; on va finir par choper le diabète par les oreilles ! Heureusement qu’on ne l’a pas incinérée, il y aurait eu une odeur de caramel jusqu’à Moscou !

Fort heureusement, pour éviter trop de ravages, j’ai de quoi me nettoyer les portugaises : loin des produits marketing déguisés en artistes et des brameuses larmoyantes surfabriquées qui reçoivent les hommages posthumes de Juncker, il y a, en France, une chanteuse qui est toujours bien vivante et qui, elle, a vraiment des choses à dire. Il a fallu la chercher loin : en Lituanie pour être exact, mais elle parle si bien français que certains la croient québécoise. Dans une chanson, elle déplore de ne pas avoir de couilles, mais elle a tort, elle en a, et pas qu’un peu : elle est la seule chanteuse francophone sans tabou, la seule à oser traiter des sujets les plus graves (pollution, racisme, exclusion, etc.) de manière aussi frontale et humoristique. Si le Hara-Kiri de la grande époque existait encore, elle en serait certainement une figure de proue, elle est la seule qui pourrait rivaliser avec le Renaud des années 1970, voire même avec Brassens ou François Villon. Ce génie absolu de la chanson et de la dérision, c’est la merveilleuse GiedRé.

France Gall avait bâti sa carrière sur ce qui fonde l’imposture de la variété, à savoir une débauche d’effets putassiers pour camoufler l’indigence des paroles ; GiedRé n’a besoin que d’une guitare sèche et d’un costume faussement enfantin pour brocarder la connerie humaine aussi efficacement que le font Lefred-Thouron et Lindingre dans leurs dessins. Quand j’entends une chanson de France Gall, j’ai l’impression de vieillir de 70 ans ; quand j’écoute GiedRé, je retrouve la fougue d’un adolescent pour dénoncer tous les fléaux de cette fichue planète. France Gall, je ne souhaitais pas sa mort parce que je savais qu’on nous passerait ses chansons sans discontinuer dans tous les médias ; GiedRé, en revanche, j’ai presque hâte qu’elle soit morte pour pouvoir l’entendre en boucle sur toutes les radios ! J’ai bien dit « presque » : longue vie à GiedRé ! Et merde aux nunucheries !