Magazine Journal intime

Le livre de la jungle

Publié le 04 juillet 2008 par Corcky





Tout le monde se réjouit de la libération d'Ingrid Betancourt. T'as qu'à voir comment les images passent en boucle depuis quarante-huit heures sur toutes les télés, les reportages à la radio, sans parler des couvertures de la presse écrite. Ingrid descend de l'hélico, Ingrid sur la piste, Ingrid porte un bob Ricard de l'armée, Ingrid sourit, Ingrid se gratte le sourcil, Ingrid remercie ses sponsors sauveurs, Ingrid a envie d'aller aux toilettes mais elle se retient. Bon ben moi aussi, hein, faut pas croire, j'ai un coeur, et je suis bien contente pour elle, ses mômes, sa mère, son mari, son caniche nain et la perruche de sa cousine.

"Triomphe de la démocratie mondiale", "victoire de la liberté", "suprématie des Droits de l'Homme", c'est à peu près ce qu'on essaie de me faire avaler aux forceps depuis deux jours, avec l'entonnoir, le bâton de gavage et l'huile de paraffine pour que ça glisse mieux.

Sans parler de ma petite famille qui s'est agrandie sans même que je m'en rende compte, puisque d'après une journaliste entendue ce matin à la radio, Ingrid, c'est "la mère, la soeur, la fille de chacun d'entre nous, de tous les Français".
Fallait me prévenir, j'aurais pris un putain de pourcentage sur toutes les opérations de comm' de ces derniers mois! Et le sens de la famille,
bordel? Bon, si j'étais mauvaise langue, je dirais qu'il y a dans cet heureux évènement une occasion en or d'enfumer un peu plus les gogos en leur faisant subtilement oublier leurs emmerdes quotidiennes. Mais après tout, un enfumage pareil, venu tout droit de Bogota, c'est quand même de la colombienne, mon pote, donc c'est d'la bonne, et je prédis qu'on va en rester stone pendant un moment.

Et je te parle même pas des milliers de braves gens qui avaient enfin trouvé un sens à leur vie à travers une mobilisation internationale vachement excitante, entre les comités de soutien et les panneaux publicitaires  humanitaires affichés un peu partout, sans parler des autographes de Renaud qu'on avait une petite chance d'obtenir pendant les meetings, les plateaux télé de la Une, de la Deux, de la Trois, de Drucker, d'Arthur, je crois bien qu'il n'y a que chez Cauet qu'on a fortement zappé le sujet. Mais en même temps, chez Cauet, on lâche des caisses à tout bout de champ et on exhibe des gros nibards, un peu comme à l'époque de Cocoboy mais en encore plus con. Alors forcément, inviter les gamins Betancourt, ça craignait un peu. D'ailleurs, au passage, je suis persuadée que ces champions de l'engagement humanitaire et du militantisme citoyen se seraient précipités pour venir en aide à ma femme, avant-hier. Ma femme, qui s'est retrouvée un peu emmerdée dans un couloir de métro, seule voyageuse parmi quelques milliers d'autres à s'arrêter devant un clodo inanimé que tout le monde enjambait comme un sac de merde, et qui venait en fait de faire une crise d'épilepsie. Moi, à la limite, je suis un peu inquiète, maintenant. Pour tous les militants passionnément pro-Ingrid, justement. Maintenant qu'elle est sortie de la jungle, que vont-ils devenir? Ils avaient trouvé de quoi occuper les longues soirées d'hiver, de quoi remplacer une conscience politique devenue inutile, de quoi faire à nouveau battre leur coeur (qui n'avait plus connu un tel rythme depuis l'enterrement deDiana ), de quoi oublier un peu leurs salaires trop bas, leur gouvernement de merde, le réchauffement climatique, les guerres au Moyen-Orient, les famines dans le Tiers-Monde et Derrick à la téloche depuis trente ans. à la Et là, brusquement, tu leur annonce que Betancourt est libre, que les tee-shirts "libérez Ingrid" peuvent désormais être utilisés comme chiffons à poussière, qu'on va démonter les portraits géants devant les mairies, qu'on ne verra plus Lorenzo (le gendre idéal) et Mélanie à la téloche, que Renaud n'a désormais plus aucune cause à défendre, que le merveilleux site web "agirpouringrid.com" va devoir fermer (ben oui, la pétition, elle sert plus à rien) et qu'en plus, Ingrid ne va sans doute pas pouvoir faire grand-chose pour leur pouvoir d'achat et l'essence qu'ils mettent dans leurs bagnoles. Merde alors.

Faudrait songer à prévoir des cellules psychologiques prêtes à intervenir en cas de suicides collectifs. Créer des comités de soutien pour les comités de soutien. Ou alors, peut-être qu'une nouvelle prise d'otage hyper-médiatisée, mobilisatrice et fédératrice, quelque chose qui scandaliserait encore plus l'opinion française, le truc moche qui retourne les tripes et donne la gerbe à nos amies les oies, et leur fait oublier toutes les arnaques au pouvoir d'achat et les petits mensonges d'Etat? ...... Si on envoyait Domenech à Medelin?

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