Résumé de l’épisode précédent : notre héros est à Lorient où a lieu un colloque sur les Amériques.
Vendredi 23 mars
12h : Déjeuner avec les autres intervenants du colloque : quand on est autiste, il faut apprendre à se connaître et savoir éviter les situations provoquant une gène. C’est pourquoi je me mets en bout de table afin d’éviter de me sentir coincé entre deux personnes qui discutent chacune de leur côté avec un autre voisin : ainsi, je n’ai le brouhaha qu’en « mono » et non pas en « stéréo », ce qui limite le mal-être et l’angoisse qu’une telle situation suscite chez moi. Je ne me sens pourtant pas dépaysé : il y a trois autres chercheurs brestois, que je connais par ailleurs, et ils sont à mes côtés. Ensemble, on continue à apprécier l’accueil des Lorientais : au repas, on peut choisir entre du magret et du saumon, il est rare qu’on ait plusieurs choix lors d’un repas de colloque ! L’un de mes collègues du Ponant prend la peine de vérifier si le train par lequel j’ai prévu de rentrer le soir et constate qu’il roulera comme prévu : au final, je serai resté totalement étranger à cette fameuse grève des transports !
15h : Le colloque a repris il y a une heure, toujours dans les temps. Je découvre, grâce à Nathalie Dupont, de l’Université du Littoral Côte d’Opale (plus ronflante, comme appellation, tu meurs, il n’y a pourtant pas de honte à venir du Nord de la France) que les évangélistes américains hyper-réacs produisent des films pour diffuser leur idéologie bondieusarde et nataliste : bien entendu, comme toutes les œuvres de propagande, le message prend le pas sur l’image et ces productions sont lourdingues à souhait ! Même au millième degré, elles sont insoutenables à regarder, à moins d’être déjà convaincu : on ne s’étonnera donc pas que ces films de moinillons enragés ne soient pas diffusés hors des Etats-Unis. Mais espérons que ça ne donne pas d’idées aux intégristes de chez nous, sinon, après « Godlywood » en Amérique, on aura « Curécittà » en Europe !
15h30 : A la pause-café, certaines personnes me disent qu’ils s’étonnent que je sois passé de la philosophie antique à Albert Camus : j’avoue que je n’avais jamais pensé que l’étude de Camus puisse être envisagée comme contradictoire vis-à-vis de la philosophie grecque et latine pour la bonne raison que Camus était lui-même un philosophe de premier plan et qu’il était très imprégné de culture antique, notamment grecque. Visiblement, on n’a pas fini de mesurer les ravages de la compartimentation des disciplines à l’Université.
17h : La dernière intervention, assurée par Hélène Tison de l’Université de Tours, parle de deux dessinatrices de BD américaines, Aline Kominsky (oui, madame Crumb) et Phoebe Gloeckner : ceux qui trouvent mes dessins provocants feraient bien de lire leurs albums, ils constateraient que je suis un premier communiant par rapport à ces femmes-là ! Cela dit, je ne le leur conseille pas vraiment tant leurs planches sont écœurantes, même pour moi qui ne suis pas bégueule : Phoebe Gloeckner est une dessinatrice virtuose, et c’est justement ça le problème ; quand on a un style comme le sien, on ne peut pas tout se permettre sans prendre le risque de rebuter : si Manara dessinait une femme se faire mettre par rat géant comme l’a fait Reiser, ce serait insupportable.Quant à Aline Kominsky, son style est si primitif qu’on ne prend même pas plaisir à lire ses pages : bref, malgré tout le respect que je leur dois, je ne peux m’empêcher de penser qu’elles font partie de ces dessinateurs qui « préfèrent travailleur pour leurs copains plutôt que se faire chier à travailler pour le grand public », pour reprendre une expression du regretté Wolinski.