Je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit, mais je suis autiste Asperger. Oui, j’ai été diagnostiqué il y a deux ans. Pourquoi un diagnostic si tardif ? Tout simplement parce que, comme la plupart des enfants « aspis », mon comportement n’était pas de nature à alarmer mes aînés : j’étais bon élève, je n’avais pas de retard intellectuel ou langagier, « donc » je n’avais pas de problème, et si j’avais du mal à accepter un changement dans ma routine, si je manifestais de l’intolérance au bruit, si je rechignais à aller jouer avec les enfants de mon âge, c’est que j’étais un sale gosse capricieux dont les adultes réglaient le sort avec une bonne paire de claques.
Bon, je caricature un peu : ça, c’était avant. On a fait beaucoup de progrès, il est vrai, en matière de connaissance et de prise en compte de l’autisme. On a notamment réussi à convaincre les neurotypiques les moins bornés (les neurotypiques sont aux autistes ce que les moldus sont aux sorciers) que le mot « autiste » n’est pas synonyme de « débile mental » et il faut vraiment être François Fillon pour l’employer comme tel. Mais il y a encore du boulot. On n’a jamais autant parlé du spectre autistique et du syndrome d’Asperger et on ne peut que se réjouir que le tabou soit tombé, mais cette visibilité s’accompagne de représentations stéréotypées bien encombrantes, véhiculées notamment par les séries télévisées.
Quand on vous dit « Asperger », vous n’avez plus en tête l’image d’un arriéré sachant à peine parler : c’est bien. Mais une autre image vous vient à l’esprit, celle d’un surdoué boutonneux et binoclard expert en informatique ou, au mieux, rat de bibliothèque, en tout cas une sorte de génie associal et repoussant : c’est déjà moins bien. Tel est le cliché qu’il faudrait casser. Et j’avoue que, personnellement, je me demandais comment faire pour battre en brèche ce stéréotype qui n’est pas forcément négatif mais n’est pas tout à fait valorisant dans un monde où on persiste à respecter davantage le bellâtre au poitrail d’airain et à la crinière blonde au vent plutôt que l’intello coincé qui s’enrhume au premier courant d’air : ce n’était pas moi, avec ma bouille ronde de puceau lèche-cul et mon doctorat en philo, qui allais arranger les choses !
J’en étais là quand, en parcourant le web d’un doigt distrait, je suis tombé sur une information vieille d’il y a cinq ans – il y a des jours où on regrette presque de ne pas lire la presse « pipole » : en 2013, Daryl Hannah a avoué être autiste ! Oui, vous avez bien lu : Daryl Hannah ! Oui, l’interprète de Splash, la créature de rêve qui jouait la sirène, la belle blonde qui apparaissait nue devant la statue de la Liberté ! Autant dire l’antithèse même de la caricature d’autiste que je viens d’évoquer !Alors je dis : merci, Daryl ! Merci d’avoir rompu le silence et d’avoir montré au monde que les autistes ne sont pas tous des singes savants que personne ne peut regarder sans rire et qu’une personne avec autisme peut très bien être une jolie blonde inspirant le désir voire même l’amour ! Je vous en serai éternellement reconnaissant ! Mais pas au point d’aller voir vos films : il ne faut pas trop m’en demander non plus.