Brest, vendredi 6 juin, 12h, visite d’un fonds de livres d’artistes à la médiathèque des Capucins. Je n’arrive pas à apprécier parfaitement cette découverte pourtant intéressante : non seulement j’ai une contrariété qui me rend plus insupportable que d’ordinaire les contraintes matérielles (forte chaleur, obligation de rester debout immobile…) mais, ce qui n’arrange rien, j’avoue être un peu blasé. Je vois de très belles images et des objets admirablement conçus, je n’en disconviens pas, mais rien ne fait vraiment vibrer davantage que tout ce que j’ai pu déjà admirer dans toutes les expositions auxquelles il m’a été donné d’assister depuis que je cabote sur les rives du monde des arts…
Pour ne rien améliorer, en fin de visite, une conversation entre mes compagnes de route et notre « guide » fait naître en moi une déprime monumentale : notre hôte explique, en effet, qu’il est légitime que les galeristes prennent 50% étant donné qu’ils « prennent tous les risques » (comme les entrepreneurs de travaux publics, bien sûr) et qu’ils libèrent les artistes du souci de promouvoir eux-mêmes leurs travaux ! Etant donné que le résultat est le même au bout du compte, à savoir que les artistes crèvent de faim et se font plumer par des margoulins, je ne suis pas plus convaincu qu’avant par la légitimité de la gloutonnerie des galeristes ! D’accord, gérer une galerie d’art, c’est du boulot et ça occasionne des frais : mais pour quelques galeristes qui font bien leur boulot et qui respectent les créateurs (en général, ceux-là galèrent presque autant que les artistes), combien de mercantis qui vendent des œuvres d’art comme Dassault vendait des avions de guerre ?
Enfin, monsieur conclut, à l’appui de sa démonstration, que, de toute façon, personne ne vit de son art : c’est exact, et ça veut dire que le système de rémunération des artistes est entièrement à revoir, parce que, une bonne fois pour toutes, dessiner, peindre, graver, sculpter, composer, etc… Bref, être un artiste, d’une façon ou d’une autre, c’est un VRAI métier ! D’accord, on le fait par passion ! D’accord, on n’a pas besoin de diplôme pour l’exercer ! Mais ce n’est pas non plus quelque chose qu’on peut faire par-dessus la jambe après s’être abruti pendant sept heures dans un bureau, comme on ferait du baby-foot ou du macramé ! Le grand Charles Bukowski, qui a longtemps galéré avant de connaître le succès, l’avait compris : « On écrit bien mieux quand on a avalé un filet de bœuf grillé et bu une pinte de whisky qu’après avoir bouffé une saloperie à cent balles. Le mythe de l’artiste affamé est une mystification. » Que dire de plus ?
Alors, vous, les politiciens, vous qui faites des pieds et des mains dans l’espoir de rester dans l’histoire, si vous réfléchissiez un peu au problème de la rémunération des artistes ? Une idée en passant : le statut d’artiste confirmé pour les étudiants, c’est une bonne idée, mais pourquoi ne pas le maintenir après les études ? C’est juste une piste, évidemment, d’autant que ça ne suffirait pas : n’empêche, mesdames, et messieurs les élus, que si vous deveniez bienfaiteurs des arts et des lettres, vous laisseriez un souvenir un peu meilleur qu’en bâtissant des cages en béton et en vendant des armes à des potentats exotiques ! Et votre nom ne serait pas associé à celui d’une période d’intense stérilité intellectuelle et artistique ! Allez, bougez-vous, sinon la postérité jugera que vous étiez encore plus cons que Louis XIV !