Les bars et le foot : c’est pas moi, c’est lui !

Brest, jeudi 14 juin, 16h30. Je passe devant un bar que je fréquente d’assez près et je vois la patronne en train d’écrire à l’entrée que les matches de la coupe du monde de football seront diffusés dans son établissement : je lui fais remarquer que quasiment tous les autres bistrots de la ville en feront autant ; elle me répond qu’elle tient justement à ce que sa clientèle habituelle vienne voir les matches chez elle au lieu d’aller voir ailleurs. En clair, elle fait ça pour fidéliser sa clientèle.

Quelque chose m’échappe : pourquoi part-elle du principe que TOUS ses clients ont forcément envie de suivre les matches de la coupe du monde ? N’a-t-elle pas peur de perdre sa clientèle allergique au ballon rond ? « Elle ne pourra pas la perdre, ducon : vu que tous les bars diffuseront les matches, les clients footophobes ne gagneront rien à aller voir ailleurs ! » En clair, ceux qui détestent le foot ou n’en ont tous simplement rien à carrer, ils n’ont qu’à fermer leur gueule : on a obtenu de ne plus se faire enfumer par les fumées de cigarettes, il faudra encore supporter longtemps les gueulantes des supporters, tant pis pour ceux qui vont au bistrot pour souffler et profiter d’un moment de calme. Mais nom de Dieu, pourquoi TOUS les bars se sentent-ils obligés de ne penser qu’à la frange footivore de leur clientèle ? J’ai même entendu parler de gens qui ont été carrément expulsés de certains estaminets parce qu’ils avaient fait savoir qu’ils ne désiraient pas suivre les matches ! Je ne sais pas si cette anecdote est vraie, mais elle illustre bien ce qu’il y a de fascisant dans cette marche forcée vers les pelouses…

Vous allez me dire que les bistrotiers ne sont pas responsables, qu’ils ne font que suivre le mouvement ? D’accord, d’accord… Mais dites-moi : QUI a initié ce fameux « mouvement » ? Ça me rappelle ce que j’entends dire chaque fois que je rencontre un de mes anciens tourmenteurs du temps maudit du collège : ils me disent TOUS qu’ils n’avaient rien contre moi et qu’ils n’avaient fait que « suivre le mouvement » ! Jamais un seul ne reconnaîtra avoir été le premier à me harceler ! Est-ce qu’on se rend compte que ce besoin maladif de suivre le troupeau à tout prix tue à petit feu notre libre arbitre ? A l’approche des présidentielles de 2012, j’avais dessiné plusieurs électeurs qui se disaient tous en même temps, dans l’isoloir, « je n’ai aucune envie de voter pour ce connard mais avec tous ces cons qui vont voter pour lui, autant voter utile » : je pourrais faire presque le même dessin aujourd’hui avec plusieurs bistrotiers qui penseraient tous en même temps « j’ai horreur du foot, mais avec tous ces opportunistes qui vont diffuser les matches, autant faire comme eux » !

Bref, je ne suis pas entré dans le bar, je me suis rendu à la conférence où j’avais prévu d’aller, il y avait beaucoup de monde dans la salle, personne n’a fait allusion au match, je ne sais absolument pas quel en a été le résultat ET JE M’EN BRANLE ! C’est clair ?