« Ma trompe me gratte en voyant l’autre idiot qui gagne sa vie en sautant sur mon dos » (Yvon Etienne, « Les mémoires d’un éléphant »)
On ne m’enlèvera pas de l’idée que les défenseurs des animaux, malgré toutes leurs bonnes intentions, ne font pas toujours preuve d’une grande adresse pour délivrer leur message. Je vous avais déjà entretenu ici même de cette récente campagne télévisuelle, dirigée contre l’abandon des animaux au moment des départs en vacances, et qui présentait l’inconvénient majeur, à mon sens, de banaliser le fait de confier la responsabilité d’un animal à un enfant, une erreur encore trop fréquente qui débouche presque fatalement sur l’abandon du « jouet » dont le cher petit finit par se lasser… Relisez l’article en question ici.
Dans un autre ordre d’idées, vous avez sans doute vu ces affiches appelant au boycott des cirques avec animaux. Sur le fond, je suis entièrement d’accord avec cette campagne : sans raffoler des arts du cirque, j’ai du respect pour les pauvres diables d’artistes qui tentent péniblement de gagner leur vie avec leur talent (voir ma nouvelle sur le sujet, parue en 2015) sous réserve qu’ils n’exploitent pas à cette fin des animaux qui n’ont rien demandé et auxquels on inflige mille tortures pour leur faire faire des pitreries avant de les enfermer dans des cages épouvantablement étroites (j’en avais déjà parlé dans un autre article paru en 2014)… Seulement voilà : l’affiche dont je vous parle ne dit pas que ça. On y voit un éléphant enchaîné et, juste à côté de lui, en lettres blanches sur fond noir, se détache le slogan « Offrez-lui la liberté ! » Mais de quelle liberté parle-t-on ici ?
Quand l’ami Pierre Perret avait composé « La cage aux oiseaux », il était loin de s’imaginer que les enfants le prendraient au pied de la lettre et ouvriraient vraiment les cages, condamnant de nombreux oiseaux à dépérir dans un environnement citadin auxquels ils n’étaient nullement adaptés. Il ne viendrait sans doute à personne l’idée de libérer un éléphant et de le laisser se promener à sa guise dans les rues de nos villes, mais la campagne d’affichage pourrait être interprétée comme un appel à renvoyer dans leur milieu « naturel » les animaux libérés des cirques ; or il n’est pas du tout sûr qu’ils y gagneraient : la plupart d’entre eux sont nés en captivité et seraient donc incapables de subsister sur les terres de leurs ancêtres où ils deviendraient, du même coup, des proies faciles pour tous les braconniers… Bien sûr, vous qui êtes fins et cultivés, vous voyez où je veux en venir : ces braves bêtes seront davantage en sécurité dans les parcs zoologiques modernes où ils vivraient dans des conditions presque semblables à celles de leurs aïeux. Le problème, c’est que la campagne ne le dit pas explicitement.
Vous allez sans doute trouver que je pinaille et que je prends les gens pour des imbéciles. Il ne me semble pas moins patent que la communication des défenseurs des animaux, du moins en France, mériterait d’être repensée : à leur décharge, il est vrai que les professionnels de la communication préfèrent généralement se mettre au service de causes plus lucratives, et avouons-le, moins impopulaires – la dignité de l’animal, le mâle blanc n’en a souvent rien à cirer. Tout cela n’enlève évidemment rien à la légitimité de leur combat que je résumerai ainsi : amusez-vous autant que vous voulez mais laissez les animaux tranquilles, il n’ont rien demandé ! Non mais sans blague !